2022/104 Un bon Indien est un Indien mort, Stephen Graham Jones / trad. de l’anglais. Rivages, 09/2022 (Noir). 346 p. 23 € ****

Ricky, Lewis, Gabriel, Cassidy. Quatre amis d'enfance, originaires de la tribu Blackfeet, ont massacré un troupeau de caribous lors d'une partie de chasse, sur le territoire des anciens où il leur était interdit de chasser. Parmi les animaux, une femelle enceinte qui a cherché à protéger son petit avant de finir par rendre l'âme. Dix ans plus tard, Lewis n’est toujours pas remis de cet acte qui l’a profondément marqué. Alors que Ricky est mort lors d’une rixe à la sortie d’un bar, il est persuadé que la femelle caribou est revenue pour se venger, et a pris l’apparence de sa collègue, puis de sa compagne. Il commet alors l’irréparable. Pendant ce temps, Gabes et Cassidy s’apprêtent à pratiquer un rituel de sudation avec le jeune fils d’un flic du coin. Rien ne va se passer comme prévu.

La femelle caribou victime de la sauvagerie des hommes revient assouvir sa soif de vengeance. Son apparition se fait progressivement, à travers les yeux de Lewis, qui semble victime d’hallucinations. En réparant une lampe défectueuse il aperçoit, à travers les pales du ventilateur, la silhouette de l’animal dessinée sur le sol. Ce n’est que le premier signe d’une présence qui devient évidente mais qu’il est le seul à voir. Cette première partie du récit semble montrer que Lewis est fou, et que seuls le remords et la culpabilité sont les véritables raisons du retour de ce fantôme dont il a gardé la peau dans son congélateur. Malgré quelques longueurs, le récit pose petit-à-petit les jalons d’une histoire qui glisse inexorablement vers le fantastique, et qui prendra toute sa mesure dans la partie suivante, avec une cérémonie traditionnelle qui va virer au cauchemar. A noter le très bon épisode du match de basket, et la course poursuite dans la neige qui le suit. Sur fond de légende indienne, avec un humour très noir et une dimension parfois très gore, ce roman traite de la situation des descendants des Blackfeet et des Crows, de la perte des traditions, de la question de l’identité indienne, et fait la part belle à la nature et aux caribous.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / caribou / chasse / vengeance / légende / Indiens /


Posté le 20/11/2022 à 11:46

La ville des vivants, Nicola Lagioia / trad. de l’italien. Flammarion, 008/2022. 506 p. 23 € *****

En 2016, un jeune homme de 23 ans, Luca Varani, est atrocement torturé puis assassiné par deux fils de bonne famille, qui déclareront avoir agi sans réel mobile.  Manuel Foffo est condamné à une peine de prison de 30 ans, Marco Prato finit par se suicider avant son procès. L'auteur reconstitue les jours et les faits qui ont précédé le meurtre, rencontre les proches et tous ceux qui ont fréquenté de près ou de loin la victime et les deux tortionnaires, et s'attache à trouver le point de rupture à l'origine de ce fait divers horrible. A travers sa quête, Nicola Lagioia dévoile une Rome bien loin des clichés de musée à ciel ouvert, une Rome à la fois splendide et malfaisante, aux venelles jonchées d’ordures et envahies par les rats.

En retraçant la relation qui a uni Foffo et Prato, l’auteur révèle le monde de la nuit romaine où, à l’instar de nombreuses grandes villes, se croisent des êtres en mal de sensations fortes, qu’elles soient sexuelles ou toxicomanes. Prato, qui travaillait dans l’événementiel, connaît bien cet univers dont il ouvre les portes à Foffo, moyennant une forte consommation d’alcool et de rails de coke. Les deux hommes en avaient-ils pour autant perdu toute notion du bien et du mal, et auraient-ils pu être considérés comme irresponsables du meurtre commis dans un état altéré de conscience ? Ce n’est finalement pas le cas, puisqu’à travers une reconstitution remarquablement documentée, qui se lit comme un terrible roman noir, l’auteur s’interroge – sans juger – sur la complexité de l'âme humaine et de ce qui peut transformer un homme en bourreau. A commencer par lui, qui ne cache pas, au détour d’une chapitre plus personnel, avoir possédé lui aussi sa part d’ombre. Et puis, il y a Rome, fascinante et sale, drapée dans sa splendeur tandis que la corruption règne, une Rome qu’il tente de fuir avec sa femme pour emménager à Turin aux rues propres et ordonnées, avant de se décider à revenir – comme si, malgré ou à cause de son stupre, de ses crimes et de sa déchéance, la ville éternelle continuait d’exercer sur lui son charme sulfureux.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Rome / ville / meurtre / drogue / homosexualité / violence /


Posté le 07/11/2022 à 16:43

2022/100 L’été où tout a fondu, Tiffany McDaniel. Gallmeister, 08/2022. 473 p. 25,60 € ****

Breathed, Ohio, 1984. Autopsy Bliss, procureur, dont l'expérience met à mal sa foi dans la justice, invite par voie de presse le diable à venir le voir. Le lendemain, un jeune garçon noir de 13 ans, sale et dépenaillé, aux étonnants yeux verts, se tient devant le tribunal. Qui est cet adolescent ? La famille Bliss l'accueille, le temps qu’on retrouve sa famille, et le prénomme Sal. Sal et Fielding, qui ont le même âge, deviennent amis. Alors que la canicule s’abat sur la petite ville, une série d’événements se succèdent et sèment la discorde parmi les habitants, dont nombreux sont ceux qui tiennent Sal pour responsable.

         Ce roman est certes un peu long mais il dépeint, à travers des personnages parfaitement caractérisés – la mère de Fielding cloîtrée chez elle par crainte de la pluie, le couvreur devenu évangéliste, Grant, le frère aîné du narrateur – la réalité d’une société ultra conservatrice dans un milieu rural. En 1984, il ne fait pas bon être différent, et de sortir des chemins tracés. A travers l’histoire de ce jeune garçon dont la couleur de peau et l’étrangeté vont lui faire endosser le rôle de bouc émissaire, sont dénoncés les préjugés de l’époque : le racisme bien sûr, mais aussi l’homophobie, l’intolérance ou le fanatisme religieux. C’est Fielding, devenu octogénaire, qui raconte l’histoire, et dans son ton se devine le drame à venir, se sentent une lourde culpabilité et la profonde douleur d’avoir, cet été-là, perdu toute son innocence.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis /années 80 / sida / homophobie / racisme / fanatisme /


Posté le 06/11/2022 à 11:33

2022/67 Les hommes ont peur de la lumière, Douglas Kennedy / trad. de l’anglais. Belfond, 05/2022. 256 p. 22 € ***

         Brendan, ancien ingénieur au chômage, est devenu chauffeur Uber. Un soir, il prend Elise, une ancienne enseignante d’université qui œuvre comme « doula » auprès de femmes souhaitant avorter. Alors qu’il la dépose devant l’une des cliniques pratiquant l’IVG, un attentat secoue le bâtiment. L’accident fait une victime, l’un des vigiles, et est relayé par la presse. Les pro vie dénoncés par Elise sont une préoccupation pour Brendan dont l’épouse a rejoint une paroisse opposée à tout avortement. Son couple bat de l’aile, alors qu’Elise fait appel aux services du chauffeur pour continuer d’aider les femmes en détresse.

         A travers l’histoire de ces deux personnages issus de milieux forts différents, Douglas Kennedy fait le portrait d’une Amérique en proie à des débats fondamentaux, à l’heure où de plus en plus d’états interdisent l’avortement ; il dénonce l’ubérisation et la cruauté d’une entreprise où les employés sont évalués en permanence et risquent, à la moindre erreur, de perdre un travail qui ne leur permet de toute façon pas de boucler leurs fins de mois. Un roman qui commence par une fresque sociale intéressante pour se transformer en une cavale qui manque un peu de crédibilité.

 

Catégorie : Littérature étrangère

IVG / Etats-Unis / Uber / emploi /


Posté le 19/10/2022 à 16:48

2022/32 Le lac de nulle part, Pete Fromm / trad. de l'anglais. Gallmeister, 01/2022. 445 p. 24,60 € ****

Trig et Al, jumeaux de 26 ans, son contactés par leur père qu'ils n'ont pas revu depuis plusieurs années. Il leur propose de partir faire un périple en canoë sur les grands lacs canadiens, avec bivouac et feu de camp, comme au temps de leur adolescence. Les jumeaux acceptent, bien qu'ils soient un peu réticents à partir à l'automne, et retrouvent leur père à l'aéroport. Très vite, il semble que le mathématicien ait peu préparé cette aventure, et sans sa rigueur habituelle. Il manque de l'équipement, et il a oublié de prendre des cartes. Le départ se fait tout de même, de lac en lac, suivant un itinéraire dont les jumeaux ignorent tout…

De l'eau, des portages pour passer de l'un à l'autre, des repas lyophilisés, des carpes cuites au feu de bois, une goutte de whisky, et deux tentes pour trois. Trig et Al s'en accommodent, habitués qu'ils sont des conditions un peu rudes de ce genre d'aventures, et finissent par retrouver la complicité de leur enfance dans la tente qu'ils partagent. Un moment de retrouvailles familiales ? C'est sans compter avec la confusion grandissante du père. L'équipée devient terrifiante, alors que le froid arrive, que l'eau gèle et compromet les déplacements en canoë. Il s'agit désormais de survivre avant tout, au sein d'une nature qui, de magnifique, est devenue hostile et mortelle. Avec, à la clé, d'affreuses révélations et le lien entre les jumeaux qui se reconstruit, au fil des épreuves. Certes, Pete Fromm n'évite pas complètement le piège du pathos avec les confidences d'Al, mais on est loin de Mon désir le plus ardent ou de La vie en chantier. Dans ce périple qui se lit comme un roman noir, l'auteur nous interroge sur la gémellité, la maladie, les non-dits familiaux et la responsabilité de chacun. Avec, en toile de fond, l'obstination d'une mère et la souveraine indifférence de la nature.

 

Catégorie :  Littérature étrangère

Canada / lacs / froid / famille / jumeaux / secret /


Posté le 09/05/2022 à 17:51

2022/28 Lorsque le dernier arbre, Michael Christie / trad. de l'anglais. Albin Michel, 08/2021 (Terres d'Amérique). 587 p. 22,90 € *****

2038. Une catastrophe écologique a décimé tous les arbres et transformé la planète en désert où souffle une poussière porteuse d'une maladie mortelle appelée la "craqueuse". Le Canada échappe en partie à ce dépérissement, notamment au sein d'une île, devenue un véritable sanctuaire où vivent des spécimens âgés de plusieurs centaines d'années. Des touristes fortunés, appelés les Pélerins, y sont accueillis pour des visites strictement encadrées de cette forêt primaire. La dendrologue Jacinda Greenwood, surnommé Jake, est l'une des guides de la Cathédrale. Endettée jusqu'au cou, elle apprend qu'elle serait la descendante d'un richissime homme d'affaires sulfureux, propriétaire de l'île... La suite du roman remonte le temps et les différentes générations des ancêtres de Jake, jusqu'au début du 20ème siècle, pour découvrir la filiation et la chaîne de coïncidences qui l'ont conduite jusqu'ici...

La dendrochronologie permet d'évaluer l'âge d'un arbre, à partir de sa souche s'il a été abattu, ou par carottage. On peut alors compter les cernes de croissance de sa souche. Mais on peut aussi découvrir son histoire : les cernes de l'aubier puis du duramen gardent l'empreinte des conditions dans lesquelles il a vécu, les années fastes, suffisamment pluvieuses ou sans voisin gênant, abattu ou tombé lors d'une tempête (cernes larges) et les périodes maigres, sécheresse, attaque d'insectes ou gelée tardive (cernes étroits).

Ainsi remonte-t-on les anneaux de l'arbre généalogique de Jake, jusqu'à la moelle du tronc, l'accident de train de 1908 qui a conduit à la rencontre improbable de deux garçons qu'on a tenus pour des frères. "Même les arbres les plus majestueux ont d'abord été de pauvres graines ballottées par le vent, puis de modestes arbrisseaux sortant à peine de terre." Et puis, on repart dans l'autre sens pour repasser par les mêmes cernes, 1934, 1974, 2008, jusqu'à l'aubier de 2038, avec désormais à l'esprit les multiples événements vécus et les choix faits par la lignée des Greewood. Le récit surfe avec intelligence sur la métaphore forestière, et trouve son point d'orgue lorsque Jake est contrainte, la mort dans l'âme, d'abattre le "doigt d'honneur de Dieu", le spécimen le plus ancien de l'île, victime d'un champignon qui ronge son bois. Jake remonte une partie des mille deux cents cernes de la souche du géant abattu : "[…] tout ce que l'arbre a vécu, préservé et consigné dans son propre corps. Chaque arbre est tenu par son histoire, par l'ossature de ses ancêtres. Et depuis que le journal est parvenu jusqu'à elle, Jake comprend que sa propre vie est étayée par des couches invisibles, structurée par les vies qui l'ont précédée. Et par une série de crimes et de miracles, d'accidents, de décisions, de sacrifices et d'erreurs auxquels elle doit d'habiter ce corps et cette époque-ci." Amour, jalousie, trahison, pauvreté extrême, engagement écologique… les choix de chaque membre de la lignée ont des conséquences qui conditionnent la vie de leurs descendants et, plus ou moins directement, l'environnement. Réchauffement climatique, déforestation, liens familiaux, transmission, Michael Christie aborde avec talent, à travers 130 années d'épopée familiale, de nombreuses thématiques qui abolissent le passé et le futur dans un continuum tout forestier : un arbre est coupé, un arbrisseau a déjà jailli de la souche – et la vie continue, avec un peu de chance.

 

Catégorie : Littérature française

arbre / forêt / déforestation / environnement / famille / générations /


Posté le 29/03/2022 à 12:57

2022/13 Une falaise au bout du monde, Carl Nixon / trad. de l'anglais. L'Aube noire, 02/2021. 329 p. 20 € *****

En 1978, la famille Chamberlain, venue d'Angleterre pour s'installer en Nouvelle-Zélande, est victime d'un accident de la route, quelque part sur la côte ouest. Les parents meurent, ainsi que le bébé. Ne restent que les trois enfants, Maurice l'aîné, Katherine, 12 ans, et leur petit frère Tommy. Ils disparaissent sans laisser de trace. Pendant cinq ans, Suzanne, la tante des enfants, tente vainement de retrouver la famille. Trente ans plus tard, elle apprend que les ossements de Maurice ont été retrouvés. Le garçon aurait vécu plusieurs années après la disparition des Chamberlain. Comment l'adolescent a-t-il pu survivre en pleine nature, complètement isolé ? Qu'est-il arrivé à ses frères et sœurs ? Suzanne décide de repartir pour la Nouvelle-Zélande, une dernière fois…

Le récit alterne entre la vie et les sentiments de Suzanne, en 2011, et les quelques années qui ont suivi l'accident. On découvre petit-à-petit comment la fratrie a pu survivre, et les réactions de chacun des trois enfants face à un environnement qui n'a strictement rien à voir avec ce qu'ils connaissaient. Chacun s'acclimate et s'en sort comme il peut, dans des conditions rudes, parfois très limites, où la nature et la sauvagerie sont omniprésentes. Il y a le bush, la rivière, les anguilles et les insectes, et cette route que Maurice espère trouver ; il y a ces liens familiaux qui les tiennent et les empêchent de sombrer tout à fait. On trouvera peut-être que les enfants se consolent rapidement de la mort de leurs parents, mais leur environnement est trop hostile pour laisser beaucoup de temps au deuil. Le récit est bien construit, avec une mécanique qui mène inexorablement vers un dénouement que le lecteur connaît dès le début, ou presque, et il a l'intelligence de ne jamais sombrer dans le manichéisme. Parce qu'avant tout, il faut survivre – à quelques kilomètres de la civilisation.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Nouvelle-Zélande / bush / famille / nature / survie /


Posté le 10/02/2022 à 11:45

2022/10 Les filles d'Egalie, Gerd Brantenberg / trad. du norvégien. Zulma, 02/2020. 370 p. 22 € ****

Le pays d'Egalie est dirigé par une femme, la directrice Brame, tandis que son mari veille avec amour sur leur foyer et leur fils Pétronius. A 15 ans, celui-ci s'apprête à faire ses premiers pas dans le monde, le soir du bal des débutants. Mais le jeune homme, long et maigre, dont l'apparence est à l'opposé des canons esthétiques en vigueur, refuse de rester cantonné à sa condition d'homme-objet et rêve de devenir marine-pêcheuse. Mais comment pourra-t-il échapper aux conventions et aux règles draconiennes qui régissent cette société matriarcale ?

Bienvenue en Egalie ! Ou plutôt en Inégalie. En effet cette société prétendument égalitaire est tout le contraire : aux femmes le pouvoir, les postes-clés, les décisions, le droit de se promener torse nu, les bars réservés, l'amour à la hussarde, le choix d'opter pour un partenaire à qui elles proposeront un "pacte protège-paternité". Aux hommes l'idéal domestique, l'éducation des enfants et les activités frivoles, la mise en plis de la barbe, les rondeurs si délicieuses et l'obligation, à l'adolescence, de porter un soutien-verge que l'on va exhiber sous la robe chasuble. Renversement des rôles donc, qui n'est pas sans rappeler les années où, en France, une femme ne pouvait ni travailler ni ouvrir un compte en banque sans l'aval de son mari.

En Egalie, la domination féminine est si puissante que la langue elle-même s'est féminisée : "elles" l'emporte au pluriel pour désigner des femmes et des hommes, "elle" est évident que la fumanité doit sa survie à la femme car "ce sont les hommes qui procréent" – à eux d'ailleurs de prendre la pilule. J'ignore si le norvégien comporte de tels marques genrées que le français, mais la traduction est une réussite, qui montre parfaitement à quel point la domination d'un sexe dit "fort" sur l'autre appelé "faible" ou "beau" est devenue parfaitement acceptée et inconsciente. Au-delà de l'histoire de Pétronius et de ses copains, qui entament leur révolution masculiniste, ce récit, écrit en 1962, montre bien les préjugés à l'œuvre dans l'inconscient collectif et illustre, de façon parfois amusante, parfois grinçante, le long chemin que les femmes ont dû suivre pour faire craquer les coutures de leurs corsets – et qui n'est pas encore achevé.

 

Catégorie : Littérature étrangère

femme / parité / inégalité / domination / révolte /


Posté le 10/02/2022 à 11:42

2022/6 La danse de l'eau, Ta-Nehisi Coates / trad. de l'anglais. Fayard, 09/2021. 478 p. 23 € ****

Virginie, Etats-Unis, 1861. A la veille de la guerre de Sécession, dans une plantation de tabac en déclin, Hiram, 9 ans, est le fils d'une esclave et du maître de la propriété. Quand sa mère est vendue, il est recueilli par une veuve, puis il devient le serviteur attitré de son demi-frère blanc, Maynard. Traumatisé par la séparation, il perd tous ses souvenirs d'enfance, et n'a pour seul horizon qu'une vie d'esclave. Un jour où la calèche qu'il conduit tombe dans la rivière, il échappe à la noyade, contrairement à son frère, grâce à un étrange pouvoir surnaturel. Devenu adulte, il est libéré grâce à un réseau clandestin qui espère tirer profit de ce don de "conduction'" afin de faciliter la libération des "asservis" en les emmenant dans les états du nord…

Dans ce récit qui raconte la longue lutte contre l'esclavage et le travail des réseaux clandestins d'exfiltration des esclaves vers les états du nord qui avaient déjà, pour certains, voté l'abolition, se tisse en filigrane une dimension fantastique. Nourri des légendes racontées par les anciens, et de la tradition de la danse de l'eau, le mystérieux pouvoir d'Hiram est une sorte de capacité à se téléporter dès lors qu'on est à proximité d'un élément liquide. Mais ce n'est pas une sinécure : ce don va prendre beaucoup de temps à se développer, jusqu'à ce qu'Hiram comprenne que son déclenchement est lié à sa capacité de faire remonter des souvenirs. Non d'ailleurs qu'il soit complètement amnésique : il possède une mémoire fabuleuse, retient tout sans effort, sauf le souvenir de sa mère, qu'il a inconsciemment enfoui pour se protéger. Faire remonter ce souvenir, c'est mettre des mots sur un traumatisme, le reconnaître, l'apprivoiser aussi. Un double enjeu pour lui, puisque plus fort sera le souvenir, plus puissant sera sa magie. Ce roman dense, qui souffre sans doute de quelques longueurs, aborde sous un angle original, poétique et symbolique, la lutte contre l'esclavage et la longue rédemption d'un homme.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / esclavage / 19ème siècle / magie /


Posté le 10/02/2022 à 11:23

Les huit montagnes, Paolo Cognetti / trad. de l'italien. Stock, 12/2018. 299 p. ****

Pietro habite à Milan dans un appartement bruyant. Ses parents louent un petit chalet à Grana, au cœur du Val d'Aoste où ils passent tout l'été. Pietro y fait la connaissance de Bruno, un garçon de son âge qui va l'initier aux secrets de la montagne. Les deux garçons parcourent les alpages, les forêts et les glaciers ; leur amitié se nourrit de la nature sauvage qui les entoure et de leur point commun : une relation compliquée avec leur père. Puis ils grandissent, Pietro mène une vie de nomade et voyage beaucoup tandis que Bruno reste dans ses chères montagnes. Vingt ans après, les deux amis se retrouvent...

L'amitié pour autant n'est pas rompue. Bien sûr, les deux hommes ont perdu l'innocence de l'enfance, et mis de côté les rêves de l'adolescence. Leur destin a divergé : Pietro vit dans le mouvement, sans réelle stabilité, tandis que Bruno est immobile, incarnant ce qui ne change pas. Mais il reste quelque chose de solide de ces étés à jouer dans la rivière, à explorer des cabanes abandonnées, à arpenter les sentiers de randonnée, une forme de loyauté qui perdure, malgré les désaccords et l'éventuelle rivalité amoureuse. Les deux hommes sont attachés à la montagne, qu'il s'agisse de celle, natale, de Bruno, ou de l'Himalaya où Pietro a passé bien des années ; c'est un refuge, et un mode de vie. Quitte à ce qu'il mène à la solitude, que Paolo Cognetti décrit avec une grande justesse par la bouche de Pietro : "Ce que je tenais à protéger, c'était ma capacité à rester seul. Il m'avait fallu du temps pour m'habituer à la solitude, en faire un lieu où je pouvais me laisser aller et me sentir bien, mais je sentais que notre rapport était toujours aussi compliqué. Je rentrais à la maison comme pour regagner cette assurance." (p.229). Comme dans La félicité du loup, l'auteur rend hommage à la haute montagne, la mettant en scène comme un personnage à part entière, au-delà des tourments de l'âme humaine.

 

Catégorie : Littérature étrangère

haute montagne / Alpes / Italie / amitié / mort /


Posté le 13/01/2022 à 15:26

Là où brillent les étoiles, Nadia Hashimi / trad. de l'anglais. Hauteville, 10/2021. 540 p. 18,90 € ***

Kaboul, avril 1978. Un coup d'état a pour conséquence l'invasion des Russes dans le pays. Cette nuit-là, toute la famille de Sitara, dont le père était le bras droit du président, est assassinée. Seule la petite fille échappe au massacre, grâce à l'aide d'un militaire qui la fait sortir secrètement du palais pour la cacher chez lui puis la confie à deux Américaines. Celles-ci parviennent à lui faire quitter l'Afghanistan pour les Etats-Unis, sous le nom de sa jeune sœur décédée, Aryana. Trente ans plus tard, devenue chirurgienne en oncologie, Aryana voit son passé ressurgir brusquement...

Evidemment, l'histoire de Sitara-Aryana est terrible. Après avoir vu toute sa famille mourir sous ses yeux, elle va devoir se faire à une autre culture. Elle est heureusement aidée par l'amour profond que va lui porter sa mère adoptive. Nul ne connait son passé, pas même Adam, son compagnon qui se lance en politique. Le trauma est bien caché mais réel, et la haine pour les responsables du massacre toujours présente, malgré les années et l'empathie indispensable à la pratique de son métier – nul besoin d'être grand clerc pour comprendre pourquoi elle a choisi de se spécialiser dans la chirurgie oncologique. L'arrivée dans sa deuxième vie d'un témoin du passé la met face à elle-même, et la contraint à faire des choix : ce bouleversement du personnage et ses conséquences sur sa psyché sont les éléments les plus aboutis d'un récit qui a le mérite de nous faire découvrir une partie de l'histoire de l'Afghanistan, mais qui souffre de certaines longueurs et n'évite pas toujours le pathos.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Afghanistan / Etats-Unis / politique / famille / deuil / résilience /


Posté le 17/12/2021 à 09:57

Sidérations, Richard Powers / trad. de l'anglais. Actes Sud, 09/2021. 398 p. 23 € ****

Théo, chercheur et enseignant en astrophysique à l'université du Wisconsin, est le père de Robin, un enfant très intelligent de neuf ans atteint de troubles psychiques : dépression, autisme, hyperactivité. Il a du mal à avoir une vie scolaire et familiale normale, d'autant plus que sa mère est décédée dans un accident de voiture. Théo, qui refuse de voir administrer des psychotropes à son fils, se tourne vers une méthode expérimentale, le "neurofeeback". L'expérience semble prometteuse : Robin peut à la fois satisfaire son inépuisable curiosité intellectuelle et avoir des relations sereines avec son père et son entourage.

Dans cette Amérique menacée par le changement climatique et l'instabilité politique, alors que tout semble aller à vau-l'eau, reste la lumière de cette si belle relation entre un père veuf, inconsolable, et son fils, auquel il voue son temps et son affection. Alors il raconte les planètes, des mondes imaginaires peuplées de créatures imaginaires, de climats et de reliefs incroyables, aux cieux mouvants et aux satellites multiples ; il l'accompagne et le conseille, à la fois fasciné et désarçonné par les capacités extraordinaires de son fils et sa très grande fragilité. A travers l'histoire de ce duo si touchant, Richard Powers traite avec sensibilité de sujets contemporains comme les crises sanitaires et la responsabilité humaine dans le bouleversement climatique ou dans l'extinction de nombreuses espèces animales, et aussi la place de l'homme dans un univers que l'on connaît encore si peu.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / autisme / famille / mort / deuil / climat / espace /


Posté le 25/11/2021 à 17:33

Klara et le soleil, Ishiguro Kazuo / trad. de l'anglais. Gallimard, 06/2021. 384 p. 22 € ****

Klara est une AA, une "Amie Artificielle", un robot de très haute technologie créé pour tenir compagnie aux enfants et aux adolescents. Dans la vitrine du magasin où elle est exposée, elle observe la rue et se nourrit des rayons du soleil, en attendant qu'on la choisisse. Arrive Josie, une adolescente souffrant d'une maladie étrange qui la fatigue énormément. Josie parvient à convaincre sa mère d'acheter Klara. Curieuse, intelligente et très empathique, celle-ci s'adapte à la situation et compose avec la mère de Josie et la gouvernante, ainsi qu'avec Rick, son petit ami. Mais elle va découvrir qu'elle est chargée d'une mission particulière…

De quoi souffre Josie ? On n'en saura pas davantage que Klara, par les yeux de laquelle le récit est raconté. Avec toutes les imperfections de son statut de robot de classe B2, qui voit parfois le monde se pixelliser, divisé en carrés qu'elle met du temps à reconstituer ; un robot qui a besoin des nutriments du soleil pour agir, et pense pour guérir Josie grâce à la puissance solaire. Mais elle apprend petit à petit à décoder le monde qui l'entoure, à déchiffrer le langage corporel et toutes les émotions qui animent l'être humain. Plus encore, elle fait sienne ces émotions, et parvient à nouer de véritables relations, avec Josie, puis avec sa mère, et enfin avec son père qu'elle convainc du bien-fondé de son projet. Cette machine se dote petit à petit d'une réelle humanité, et notamment d'une bienveillance à toute épreuve. Sans que jamais sa constance ne soit menacée, même lorsque qu'elle se voit délaissée par une Josie devenue grande et prête à partir pour l'université. Qu'importe de finir dans une décharge, si elle peut encore profiter des motifs du soleil. Ce roman un peu lent pose lavec délicatesse la question de la part de bon en nous, que nous avons oublié et qu'incarne ce robot qui, avec un renoncement serein, se contente de profiter des motifs du soleil ? Qui, de la machine ou de l'homme, est le plus humain ?

 

Catégorie : Littérature étrangère

intelligence artificielle / apprentissage / humanité / famille


Posté le 21/10/2021 à 17:36

Trois vœux, Liane Moriarty / trad. de l'anglais. Albin Michel, 02/2021. 393 p. 22,90 € ***

L'histoire de trois femmes, les soeurs Kettle, trois triplées, que chacun se souvient avoir croisées dans une rue de Sydney. Elles se retrouvent le soir de leurs 34 ans pour une fête d'anniversaire au cours de laquelle l'une d'elles plante une fourchette dans le ventre d'une de ses amies enceinte. Comment expliquer un tel geste ? On découvre les trois soeurs et leur personnalité : Lyn, chef d'entreprise; celle qui a tout réussi, carrière, mari, enfant, belle-fille, belle maison ; sa jumelle Cat, qui tente désespérément d'avoir un enfant et que son mari trompe ; enfin Gemma, la "fausse" jumelle, instable, aérienne, incapable de se fixer à un homme et qui devient "homesitter".

C'est une belle galerie de portraits, car autour des trois sœurs il y a les parents divorcés, qui s'aiment encore au point de décider de se remarier, les compagnons d'une vie ou d'un soir, les rivales… tout cela dans une Australie branchée et plutôt aisée, où l'on déjeune le jour de Noël en pestant contre la clim défaillante. On a l'impression de plonger dans une série qui raconterait les tribulations de ces triplées trentenaires, et qui gratterait un peu sous le vernis des apparences. C'est plutôt agréable, sans laisser un souvenir impérissable.

 

Catégorie : Littérature étrangère

sororité / famille / enfant /



Posté le 04/10/2021 à 18:12

La papeterie Tsubaki, Ito Ogawa / trad. du japonais. Philippe Picquier, 01/2021. 375 p. 20 € ****

A la mort de la grand-mère qui l'a élevée, Hatoko, surnommée Poppo, revient dans son village natal de Kamakura pour reprendre la papeterie qu'elle lui a léguée. La voilà à son tour non seulement vendeuse de produits de papeterie ou de calligraphie, mais aussi écrivain public, chargée de rédiger des cartes de vœux, des lettres de condoléances, d'amour ou de rupture. Elle tâche de se plier au mieux aux exigences de ses clients, aussi farfelues puissent-elles être parfois – comme un courrier de sympathie pour la mort d'un singe, ou une lettre de rupture d'une jeune femme avec sa maîtresse de thé -, mais toujours dans le stricte respect des règles complexes qui régissent la correspondance nippone. C'est l'occasion pour elle de forger ses armes de rédactrice et de calligraphe, d'exercer son talent et de faire de nombreuses rencontres. Et de se découvrir.

Ce joli roman nous plonge dans les traditions japonaises, la fête des cerisiers en fleurs, la cérémonie des lettres que chacun apporte à Hatoko pour qu'elle les brûle, les vœux de la nouvelle année, la gastronomie… Au fil des saisons, tandis que son art s'affine et que la papeterie connait le succès, la jeune femme s'étoffe, grandit, et se réconcilie avec son passé. Raffinement, douceur et fraîcheur caractérisent ce récit qui ravira aussi les amateurs de la calligraphie japonaise : ils apprécieront les reproductions de lettres rédigées en caractère hiragana ou katakana, ou en caractères chinois, ainsi que toutes les subtilités de l'art des relations épistolaires.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Japon / écrivain public / correspondance / famille /


Posté le 30/08/2021 à 19:22

Des milliers de lunes, Sebastian Barry / trad. de l'anglais. Joëlle Losfeld, 08/2021. 237 p. 21 € ****

Paris, Tennessee, deuxième moitié du 19ème siècle. Winona, jeune Indienne qui a assisté au massacre de toute sa famille, a été adoptée par John Cole et son compagnon Thomas McNulty. Elle grandit dans la ferme de Lige Magan où ils travaillent tous deux, avec deux esclaves affranchis, Rosalee et Tennyson Bouguereau. Winona est agressée et violée, mais le choc a effacé le souvenir de son agresseur. Un peu plus tard, Tennyson est lui aussi attaqué et grièvement blessé. On soupçonne un groupe de marginaux criminels que le colonel Purton, chargé de la justice, décide de disperser avec l'aide de la population.

         Dans ces contrées rurales, alors que les blessures de la guerre de Sécession restent vivaces, il ne fait pas bon être indien ou noir. Tennyson et Winona l'apprennent à leurs dépens. La jeune fille, qui grandit au sein d'un couple peu ordinaire pour l'époque – Thomas McNulty a participé dans sa jeunesse à des spectacles, habillé en femme, et le proche entourage des deux hommes ne semble pas blâmer les liens qui les unissent – est avide d'une liberté que son père adoptif semble lui concéder volontiers. L'histoire est habilement construite, l'auteur sait tirer avec intelligence et finesse les conséquences progressives de chaque événement, tandis que se dessinent de nombreuses questions liées à l'humain : la question de l'identité et du devenir des populations indiennes, la ségrégation, mais aussi, de manière latente, l'homosexualité et la misogynie.

         Merci aux éditions Joëlle Losfeld pour cette découverte. 

Posté le 19/08/2021 à 09:32

Petite, Edward Carey / trad. de l'anglais. Le Cherche Midi, 03/2021. 566 p. 23 € ****

Berne, deuxième moitié du 18ème siècle. Marie Grosholz et sa mère entrent au service d'un certain Dr Curtius, qui fabrique des moulages en cire d'organes humains. Sa mère se suicide mais Marie reste, apprenant auprès de son mentor les bases de son travail. Promue assistante, elle le suit jusqu'à Paris où il prend pension chez une veuve et relance son activité. Il devient vite célèbre en réalisant les statues grandeur nature d'assassins et de personnalités de l'époque. Pendant ce temps, Marie, qui subit les brimades de la veuve, est appelée à Versailles auprès de la princesse Elisabeth, à qui elle donne des leçons d'anatomie. Mais nous sommes en pleine période révolutionnaire : Marie est congédiée, revient chez son maître, et voilà qu'on lui demande de réaliser les têtes fictives de ceux qui ont perdu la leur sous le couperet de la guillotine…

De façon romancée, Edward Carey nous raconte l'histoire de celle qui deviendra, des années plus tard, la célèbre Mme Tussaud. Une biographie soignée, aux multiples influences : on y trouvera une tonalité un peu voltairienne dans les intitulés des chapitres ou l'absurdité de certaines situations, la noirceur des romans naturalistes, un côté Poe ou Gautier pour l'ambiance crépusculaire et la bizarrerie de certains personnages. Malgré certaines longueurs, c'est plutôt bien fait et fort plaisant.

 

Catégorie : Littérature étrangère

cire / mannequin / anatomie / Révolution française / apprentissage / pauvreté /


Posté le 03/08/2021 à 18:26

Le fleuve des rois, Taylor Brown / trad. de l'anglais. Albin Michel, 05/2021. 446 p. 22,90 € ****

         Deux frères décident de descendre l'Altamaha River pour aller disperser les cendres de leur père, décédé un an plus tôt, dans l'embouchure du fleuve. L'aîné, Lawton, militaire de carrière, ne croit pas à la thèse de l'accident et veut trouver une autre explication à sa mort que le fait qu'il ait été embroché par un esturgeon. Hunter est plus circonspect, d'autant plus que ses études d'histoires ne l'ont pas préparé à ce périple dans un environnement parfois hostile et sur un fleuve qu'habitent alligators,  poissons géants et de nombreuses légendes. Dont celle d'une créature mythique, énorme, que cherche à apercevoir Jacques Le Moyne, dessinateur et cartographe du Roi qui a fait partie de l'expédition française partie à la découverte du Nouveau Monde en 1564.

         L'expédition est un fiasco, les hommes nouent des relations conflictuelles avec les Améridiens qui ne partagent pas leur goût du territoire, se battent contre les Espagnols et endurent la famine. Le Moyne dessine, effaré par la violence dont les hommes ont le secret. Le roman oscille entre le périple des deux frères et les mésaventures de Le Moyne, et laisse place, en contrepoint, à la jeunesse d'Hiram, le père alcoolique et violent de Lawton et Hunter, mouillé jusqu'au cou dans des trafics que ses fils découvrent au fil de leur progression. Pendant ce temps, le fleuve continue de couler, imperturbable et indifférent au destin de ceux qui le parcourent ; à travers ses méandres il est question du bien et du mal, de colonisation, de pollution, de fraternité, dans un récit somptueux où le sordide côtoie le mythe.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / fleuve / frère / Amérique /


Posté le 03/08/2021 à 18:24

Le jeu de la dame, Walter Tevis / trad. de l'anglais. Gallmeister, 03/2021. 433 p. 11,40 € *****

         Etats-Unis, 1957. A la mort de sa mère, Beth Hamon est placée dans un orphelinat. Elle découvre les échecs grâce au factotum de l'institut, qui l'initie et se rend compte qu'elle est extrêmement douée malgré son très jeune âge. Elle participe à des concours qui confirment son talent, mais rendue dépendante aux calmants qu'on distribue à tous les pensionnaires, on lui interdit de jouer. Elle est ensuite adoptée par un couple américain et parvient à s'inscrire à d'autres championnats qu'elle gagne. A 16 ans, elle devient l'étoile montante des échecs aux Etats-Unis et commence, chaperonnée par sa mère adoptive, à participer à des tournois internationaux…

         Le talent seul ne suffit pas. Beth a découvert le plaisir des stratégies, mais surtout celui de gagner – les compétitions, et de l'argent. Le plaisir de gravir les échelons du classement international et de rencontrer les plus grands maîtres. Mais pour y parvenir, il faut travailler. Rejouer les mêmes parties, apprendre par cœur de longues combinaisons, s'entraîner sans relâche, des heures durant. Certes, Beth est appliquée et douée, mais son génie inclut aussi une part obscure : elle souffre d'une dépendance aux calmants et d'alcoolisme ; elle est aussi terriblement seule. C'est cette contradiction qui caractérise ce personnage, capable du meilleur comme du pire, de battre les plus grands champions dans une activité réservée aux hommes où règne une compétition permanente, comme de se livrer à tous les excès. Une sorte de génie maudit doté d'une volonté de fer et d'une grande fragilité. Ce roman, qui ne craint pas de détailler les parties d'échecs d'une façon qui pourra sembler absconse pour les non-initiés, est avant tout un beau portrait de femme. A noter que l'adaptation en série diffusée sur Netflix est très fidèle au roman.

 

Catégorie : Littérature étrangère

échecs / compétition / rivalité / drogue / femme /


Posté le 16/07/2021 à 18:07

Sans toucher terre, Antti Rönkä (trad. du finnois). Rivages, 12/2020. 234 p. 20 € *****

Aaro a vécu toute sa scolarité en souffrant de harcèlement. Jeune homme solitaire, il attend beaucoup de son départ pour l'université et la possibilité de changer. Mais il n'est pas facile de se débarrasser de ses habitudes de protection et d'évacuer la peur d'aller vers les autres. Aaro peine à nouer des contacts avec ses camarades de fac et à participer à des soirées. Il continue de se gaver d'anxiolytiques pour tenir et parvenir à entretenir un minimum de liens sociaux. Et voilà qu'enfin, il rencontre une jeune fille…

Aaro vient d'une famille qui a érigé le sport et la compétition en véritable religion. Son père avait fait de lui un champion de course, il subissait les entraînements sans jamais parvenir à dire qu'il détestait cela. De même était-il incapable de dire ce qu'il subissait à l'école. C'était un jeu se disait-il à l'époque, prêt à tout subir pour être considéré comme les autres. Alors il se regarde sans bienveillance, s'autocritique, se fait mal. Il a honte de sa faiblesse, qu'il cache pour faire bonne figure, comme il l'a toujours fait. Honte de lui, de ce qu'il est. Mais loin de ses persécuteurs, loin de sa famille indifférente, Aaro peut commencer tout doucement à se reconstruire. C'est un récit touchant que nous propose là un tout jeune auteur, qui donne à voir de l'intérieur le ressenti et la profonde détresse d'une victime de harcèlement, incapable de dénoncer ses bourreaux et de demander de l'aide.

 

Catégorie : Littérature étrangère

harcèlement / études / angoisse / relations sociales /


Posté le 18/06/2021 à 09:23

Justice indienne, David Heska Wanbli Weiden / trad. de l'anglais. Gallmeister, 01/2021. 407 p. *****

Dans la réserve indienne de Rosebud, dans le Dakota du Sud, où vivent les Indiens Iakotas, l'état n'intervient pas dans les enquêtes de la plupart des crimes, et la police locale a peu de moyens. Les pires abus restent souvent impunis. Virgil Wounded Horse, qui élève seul son neveu Nathan, est devenu justicier et venge les victimes selon leur demande. Le père de son ex compagne le charge d'une mission : traquer des trafiquants de drogue, qui commencent à introduire de l'héroïne dans la réserve. Un problème qui le touche d'autant plus que son neveu vient d'être victime d'une overdose.

Virgil et Nathan n'en ont pas fini avec la drogue. On découvre dans le casier du jeune homme, au lycée, une importante quantité de morphiniques. Suspecté de faire partie d'un réseau, Nathan est incarcéré, et ne doit sa libération qu'à condition de coopérer avec la police en se faisant passer pour un acheteur auprès des dealers. Contraint et forcé, Virgil joue le jeu et mêle sa propre traque au travail des autorités. Roman social tout autant que thriller, le récit fait la part belle aux conditions de vie des Indiens dans la réserve – dont il ne fait pas oublier qu'on leur a confisqué leurs terres pour les parquer dans un territoire réduit ; la population est pauvre et s'alimente mal, au point qu'un chef vient assurer des formations pour rééduquer les habitants et leur apprendre à cuisiner avec les produits locaux ; on tâche de perpétuer les traditions et on pratique des rituels que Virgil a rejetés jusqu'à ce qu'il redécouvre le pouvoir de la sagesse des anciens. L'homme est une sorte de mercenaire, qui n'hésite pas à faire usage d'une violence extrême puisqu'on le paie pour cela, mais pas seulement. Virgil n'est pas une brute : si on a recours à lui, c'est bien à cause de la faillite des autorités. La justice indienne traditionnelle, qui consiste à refuser de frapper celui qu'on a vaincu, est certes à l'opposé de celle que pratique Virgil, mais il agit faute d'une justice efficace et équitable, et même si on ne partage pas cette idée de se substituer à un système pénal, on ne peut que partager la colère de l'homme face à l'impunité des criminels. Vaste question, qui donne à ce récit une dimension politique et morale très intéressante.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Amérindiens / Etats-Unis / justice /drogue / pauvreté /


Posté le 19/04/2021 à 17:43

L'hôtel de verre, Emily St. John Mandel / trad. de l'anglais. Rivages 02/2021 (Noir). 398 p. 22 € ****

         Un hôtel de luxe isolé sur une île au nord de Vancouver. Au bar, Vincent, une jeune femme discrète autant qu'elle est belle. En homme à tout faire, son demi-frère Paul, musicien et toxicomane. Un client, Leon Prevant, cadre dans une compagnie maritime. Le propriétaire des lieux, Jonathan Alkaitis, un homme d'affaires richissime. Et une nuit, on écrit sur la vitre du hall cette phrase énigmatique : "Et si vous avaliez du verre brisé ?", qui suscite l'horreur. Voilà la pièce centrale d'un puzzle gigantesque, qui s'étend sur une trentaine d'années et nous emmène dans le milieu des spéculations boursières ou du transport maritime, à travers les destins de personnages divers.

         Un récit étrange, qui saute d'une époque à une autre, commence par la noyade de Vincent dans les eaux mauritaniennes, s'attache tour à tour aux différents personnages dans une narration qui mêle passé et anticipation, réalité économique – avec le montage financier opéré par Alkaitis sur le modèle d'une pyramide de Ponzi – et fantasmagorie, des passages de "contrevie" où tout serait bien différent, et des fantômes qui apparaissent aux survivants. Un récit inclassable dans lequel on pourrait se perdre, ne serait-ce que parce qu'il n'y a pas de protagoniste, que Vincent n'est qu'une pièce de l'échiquier où tour à tour chacune des pièces connait un destin conditionné au déplacement des autres pièces. Mais tout est affreusement, terriblement logique : l'escroquerie d'Alkaitis, qui entraîne dans sa chute tous ceux qui gravitaient dans sa sphère, illustre parfaitement cette imbrication : qu'une seule pièce bouge, et c'est toutes les autres pièces qui en subissent les conséquences, dans un enchainement inéluctable. Alors, on a beau s'imaginer une contrevie, jouer au "Et si…" ne mène à rien qu'à échopper de 170 ans de prison, vivre sa retraite dans un camping-car où se noyer en tombant du pont d'un transatlantique. Imparable.


Posté le 19/04/2021 à 17:42

Par le vent pleuré, Ron Rash / trad. de l'anglais. Points, 08/2018. 224 p. 7 € ****

Dans une petite ville paisible au cœur des Appalaches, on retrouve une poignée d'ossements. Il s'agit d'une jeune femme, qui a vécu là quelques mois une cinquantaine d'années plus tôt. Avec son envie de vivre, son insouciance et sa sensualité, Ligeia séduit deux frères, Bill et Eugene, qui vivent bien loin des révolutions contestataires de l'époque, et sous la coupe d'un grand-père tyrannique et conservateur. Sous son influence, Eugene, qui n'a pas 18 ans, transgresse les interdits, découvre l'alcool, la drogue et la sexualité, tandis que son frère, qui prépare activement des études de médecine, prend de la distance. L'été s'achève, Ligeia quitte la ville, sans jamais plus donner de nouvelles au jeune homme. La macabre découverte fait surgir chez Eugene, qui a abandonné toutes ses ambitions littéraires pour sombrer dans l'alcoolisme, les fantômes du passé. Désormais, il lui faut découvrir ce qui est arrivé à la jeune sirène délurée de sa jeunesse, et interroger son frère, devenu un chirurgien très habile, sur ce qu'il sait. Mais Bill n'est guère disponible, ni disposé à revenir sur le passé.

A travers un va-et-vient entre le présent d'Eugene et ses souvenirs, se met en place la relation qui unit les deux frères, faite d'amour et de rivalité. L'aîné est promis à un bel avenir qui suit la voie toute tracée par le grand-père abusif, qui régente toute la famille au seul prétexte qu'il détient les cordons de la bourse ; le benjamin sensible, artiste, n'a commis que le péché de tomber amoureux d'une jeune fille subversive. Ron Rash explore avec sono talent habituel l'univers familial à l'époque où les Beatles chantaient "ob-la-di ob-la-da life goes on", quand on envisageait la vie en communauté et l'amour libre, au croisement de deux générations qui s'affrontent, incarnées d'un côté par ces deux frères coincés entre leur sens du devoir et leur envie de transgression et de l'autre par la sirène venue se baigner au bord de la Tuckaseegee.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / hippies / transgression / meurtre / famille / frères /


Posté le 10/04/2021 à 19:30

Tu aurais dû t'en aller, Daniel Kehlmann / trad. de l'allemand. Actes Sud, 02/2021. 91 p. 10 € ***

Un scénariste en mal d'inspiration loue pour sa famille une belle maison dans les montagnes allemandes. Mais l'euphorie de l'arrivée cède vite le pas à une tension grandissante, tandis que l'atmosphère devient de plus en plus angoissante, avec un voisinage louche et des événements inexpliqués. La maison moderne et accueillante devient un piège dont il est difficile de sortir...

Le narrateur mêle l'écriture de son scénario au journal de bord qu'il tient durant son séjour dans un petit carnet. C'est la première étape d'un état de confusion qui va grandissant, au fur et à mesure que le lieu change autour de lui. Des portes qui ne sont pas à leur place, un couloir qui se rallonge, des pièces qui débouchent sur rien, le décor semble se déformer en même temps que se modifie la perception du temps et de l'espace du scénariste. Il continue tout de même à tenir son journal comme il peut, mélange la relation des faits avec celle de ses rêves, ne finit pas ses phrases, on s'y perdu autant qu'il est perdu. Drôle de récit que celui-là, qui suscite chez le lecteur une sensation mêlée d'horreur et d'incompréhension assez déroutante – si c'était le pari de son auteur, c'est bien réussi.

 

Catégorie : Littérature étrangère

fantastique / scénario / folie / fantôme /


Posté le 10/04/2021 à 19:26

Le chant de la Tamassee, Ron Rash / trad. de l'anglais. Points, 02/2017. 25 p. 7 € *****

Ruth Kowalsky, 12 ans, se noie dans la Tamassee, rivière de Caroline du Sud. Son corps se coince sous un rocher. Le père de la victime demande l'installation d'un barrage amovible pour détourner le cours de l'eau vers la rive droite et récupérer le corps de sa fille, contre l'avis des gens du cru qui connaissent le danger encouru. Une guerre s'engage alors avec les écologistes locaux, qui s'appuient sur la loi fédérale interdisant à quiconque de perturber l'état naturel d'une rivière qui a obtenu le label "sauvage". Très vite, le fait-divers prend une dimension nationale, et une jeune photographe de presse, Maggie, native du comté où se joue le drame, est chargée de couvrir les événements. Mais comme beaucoup, elle s'interroge sur ce choix cornélien entre la protection de la nature et le deuil d'un enfant...

Ce n'est pas sa seule interrogation, d'ailleurs. Maggie est attirée par son collègue grand reporter chargé de couvrir l'événement avec elle. Allen est porteur d'un passé douloureux dont elle ne sait que faire. Peut-elle se laisser aller à le séduire ou à se laisser séduire, alors qu'elle-même porte les stigmates – le mot n'est pas que métaphorique – d'une enfance blessée qui l'a conduite à s'éloigner de son père désormais malade ? Comme souvent chez Ron Rash, la nature est mêlée de façon inextricable aux personnages : ceux-ci sont en proie à des tourments intérieurs qui abondent sous la surface et finissent par ressurgir, alors qu'en surface la mort d'une enfant devient l'enjeu d'un conflit écologique et politique. En toile de fond, la Tamassee cristallise tous les avis : elle est frontière de deux états,  et symbole de la défense d'une nature mise à mal par les prétentions humaines. On pourrait la croire inoffensive ou tout du moins domptable par l'homme, mais c'est une eau vive aux méandres dangereux, qui abrite dans ses profondeurs des courants mortels.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / nature / écologie / deuil / famille /


Posté le 17/03/2021 à 10:52

Zoomania, Abby Geni / trad. de l'anglais. Actes Sud, 01/2021. 357 p. 23 € *****

         A Mercy, petite ville de l'Oklahoma, une tornade dévaste le quartier où vit la famille McCloud ainsi que sa maison. Les quatre enfants, réfugiés dans l'abri au sous-sol, se retrouvent livrés à eux-mêmes puisque le père a disparu pendant la tornade. Tucker, le seul garçon de la fratrie, gêné par la médiatisation de sa famille à laquelle s'est vouée l'aînée, Darlene, disparaît quelques semaines plus tard après une violente dispute. Trois ans après, les trois sœurs vivotent dans un mobil home grâce au petit salaire de Darlene. Cora, la benjamine, souffre toujours de l'absence de son grand-frère. C'est alors qu'une bombe explose dans une usine de cosmétiques, libérant tous les animaux de laboratoire. Tucker, militant de la cause animale, arrive blessé au mobil home, et enlève sa sœur pour fuir vers l'ouest.

         Road movie terrible que celui de ces frère et sœur : la deuxième, trop jeune pour se rendre compte des réels enjeux à l'œuvre et pour une pareille aventure, voue au premier un amour et une admiration sans bornes. Ils roulent vers l'ouest selon un vague plan établi par Tucker, qui n'a pour seule motivation que de fuir la police et de libérer les animaux du joug humain, dans des conditions de vie et d'hygiène déplorables, à bord de voitures volées, dormant dans des fossés ou un caveau de cimetière. Que perçoit Cora des projets de son frère ? Elle le suit, l'écoute lui raconter des histoires, lui parler de l'anthropocène et lui enseigner la pyramide de la domestication, une invention de son cru. Un réel endoctrinement qu'elle n'est pas capable de remettre en cause, jusqu'au moment où Tucker commet un meurtre. Malade et dénutrie, elle se met à penser avec regret au mobil home et à ses deux sœurs. Abby Geni réussit le pari de rester à hauteur d'enfant, Cora devine plutôt qu'elle réalise pleinement à quel point son grand frère adoré s'est radicalisé jusqu'au fanatisme. En alternance, elle cède la parole à Darlene, qui a sacrifié son avenir d'étudiante pour devenir chef de famille à 18 ans. L'histoire de cette jeune femme vient donner corps à un récit très réaliste qui dépasse ainsi la seule thématique de l'éco-terrorisme pour aborder également la réalité cruelle des laissés pour compte de la nation américaine.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / écologie / terrorisme / famille / deuil / influence /


Posté le 17/03/2021 à 10:51

Novecento : pianiste, Alessandro Baricco / trad. de l'italien. Galimard, 02/2021 (Folio). 84 p. 5 € ****

Dans un monologue théâtral, un trompettiste raconte comment il se fait embaucher sur le paquebot Virginian, où il fait la connaissance de Danny  Boodmann T.D. Lemon Novecento, un pianiste surdoué qui n'a jamais mis pied à terre de sa vie. Abandonné à la naissance, il a été adopté par un des marins et a développé un sens musical et un talent si grand qu'il va être provoqué en duel musical par un de ses confrères qui ne supporte pas la concurrence...

Récit inclassable selon son auteur, ce court récit de 71 pages est destiné à être lu à voix haute, et comporte des indications qui ressemblent fort à des didascalies et qui laissent imaginer quel beau spectacle il ferait. Un récit court, mais efficace, qui narre la vie plus qu'étrange de ce musicien qui n'a jamais touché terre et que la célébrité n'intéresse aucunement, et non sans un humour un peu absurde, notamment lorsque le narrateur fait la présentation farfelue de l'équipage dirigé par un capitaine claustrophobe, avec un pilote aveugle, un radio bègue et un médecin de bord au nom imprononçable (le pauvre homme s'appelle Klausermanspitzwegendorfentag). D'autres scènes cocasses ou surprenantes émaillent le récit, non sans une étrange poésie, comme celle où, lors d'une tempête durant laquelle notre trompettiste fait connaissance avec Novecento, qui lui demande d'enlever les cales du piano, les deux hommes s'installent devant le clavier et que le musicien joue, tandis que la tempête fait valser l'instrument, le tabouret et les deux hommes à travers toute la salle. Et puis, à l'issue du duel, le piano est si chaud après la prestation de Novecento qu'il allume une cigarette en approchant la cigarette des cordes. C'est drôle, et terriblement mélancolique.

 

Catégorie :

musique / bateau / absurde / humour /


Posté le 12/02/2021 à 11:07

Betty, Tiffany McDaniel / trad. de l'anglais. Gallmeister, 08/2020. 716 p. 26,40 € *****

         Née d'un père indien cherokee et d'une mère blanche, Betty Carpenter grandit au sein d'une famille nombreuse dans une petite ville de l'Ohio. Elle raconte son enfance, puis son adolescence, ses drames personnels - à l'école, elle est en butte au racisme de ses camarades et des enseignants – et ceux de la famille, qui voit mourir plusieurs de ses enfants. Comme pour exorciser tout cela, elle écrit ses histoires, qu'elle enferme dans des bocaux qu'elle enterre. Nourrie des légendes indiennes racontées par son père, elle se forge petit-à-petit une identité pour devenir une femme fière et forte.

         J'ai eu mal au ventre pendant toute la lecture de ce roman. Betty aux cheveux trop noirs et à la peau trop sombre subit quotidiennement une discrimination que ses sœurs ne connaissent pas, elle doit composer avec la folie de sa mère qui lui raconte, en guise de cadeau d'anniversaire, le viol et l'inceste dont elle a été victime des années durant, elle assiste au viol de sa sœur aînée par leur grand frère ; c'est une enfance difficile, marquée par les deuils, le rejet social puisque son père n'est pas non plus épargné par la discrimination, et si l'on fait appel à lui pour sa science des plantes, il reste toujours un indien dont il faut se méfier. J'ai eu mal au ventre tout du long, mais j'ai respiré aussi parmi les arbres, en découvrant les légendes indiennes sur lesquelles se fonde Landon Carpenter pour faire admettre à ses enfants les grandes injustices de la vie. La relation très forte qui unit ce père profondément aimant et sa fille qu'il surnomme sa "petite indienne" donne à ce sombre récit une belle luminosité, et c'est pleine d'espoir que cette jeune femme quitte la maison familiale, après la mort de son mentor, pour aller au bout du monde. C'est un premier roman un peu long certes que nous propose Tiffany McDaniel, mais un très beau récit initiatique.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / amérindien / famille / enfance / adolescence / 


Posté le 01/11/2020 à 15:57

Les secrets de ma mère, Jessie Burton / trad. de l'anglais. Gallimard, 08/2020. 504 p. 23 € ****

       Rose Simmons n'a jamais connu sa mère, qui l'a abandonnée alors qu'elle était bébé, et l'a laissée à son père. Pourquoi est-elle partie ? Qu'est-elle devenue ? Est-elle au moins toujours vivante ? Est-ce à cause de son absence que Rose se sent si mal, sans réel but dans l'existence ? Son père, qui l'a élevée seul, ne peut répondre à ses questions. Rose décide de se lancer dans une quête de ses origines, et de prendre attache auprès de Constance Holden, une écrivaine à succès dans les années 80 qui a bien connu sa mère et qui, septuagénaire, vit retirée de toute vue publique depuis qu'elle s'est arrêtée d'écrire, il y a trente ans. Elle parvient à se faire embaucher par Connie comme assistante personnelle, sans lui révéler qui elle est, espérant que l'auteure lui livrera des informations sur sa mère.

        S'ouvrant sur la rencontre, en 1980, de Connie et d'Elise Morceau, la mère de Rose, le roman est construit en un va-et-vient habile entre les deux époques. Nous découvrons, parfois en même temps que Rose, parfois un peu avant elle, le personnage qu'était Elise. Elise amoureuse de Connie, laquelle l'a emmenée à Los Angeles, où aurait lieu le tournage du film adapté de son deuxième roman. Elise jeune, belle et perdue, dépendante de Connie, et peu sensible aux charmes artificiels de la société californienne dont elle apprécie peu les mensonges et les coups bas, et dans lesquels sa compagne se plaît. En se rapprochant de la Connie vieillissante et percluse d'arthrose, et en gagnant sa confiance, Rose réalise ainsi une quête d'identité qui n'est pas sans douleur, mais qui lui permet, enfin, de devenir elle-même. C'est un beau récit que celui-là, qui présente aussi de beaux portraits de femmes et questionne sur la maternité, l'amour et la création littéraire.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / Angleterre / quête d'identité / amour / abandon / famille /

 

Roman lu dans le cadre Masse Critique Babelio.


Posté le 12/10/2020 à 16:49

Nickolas Butler, Le petit-fils / trad. de l'anglais. Stock, 01/2020. 343 p. 22 € *****

       Lyle et Peg vivent paisiblement leur vie de retraités dans leur maison du Wisconsin. Lyle partage son temps entre l'entretien d'un verger, des discussions avec son ami Hoot et des activités avec son petit-fils Isaac. Celui-ci vit chez eux avec sa mère Shiloh, la fille adoptive du couple. Seul bémol, Shiloh se met à fréquenter assidûment la paroisse évangéliste de Coulee Lands et devient une fervente croyante. Sous l'influence du jeune pasteur, elle prétend qu'Isaac possède un donc de guérisseur. Face au scepticisme de Lyle, elle décide d'éloigner le jeune garçon de ses grands-parents, qui commencent réellement à s'inquiéter pour l'enfant…

        Shiloh et son père ne s'entendent pas. Kyle a cessé de croire en Dieu mais, pour l'amour de sa fille, fait l'effort s'assister aux offices, malgré sa méfiance. Il a terriblement raison : se déroule alors l'histoire implacable d'une emprise de plus en plus grande, qui met en danger la vie d'Isaac, face à laquelle les grands-parents sont absolument impuissants. Le thème du sectarisme qui sert de fil conducteur à l'histoire est secondé par celui de la nature. Les activités de Lyle dans le verger, et notamment le moment où il essaie de préserver les arbres du gel tardif donnent lieu à de très belles pages où se mêlent drame et poésie. Un très beau roman fluide et puissant.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / secte / manipulation mentale / maltraitance /


Posté le 12/10/2020 à 16:46

Autant en emporte le vent volumes 1 et 2, Margaret Mitchell / trad. de l'anglais. Gallmeister, 05/2020. 702 et 717 p. 13 € le volume ****

         Georgie, Etats-Unis, avril 1861. Toute la famille O'Hara vit à la plantation de Tara, à une trentaine de kilomètres, et y coule des jours heureux. Scarlett, l'aînée des filles, n'a à se préoccuper que de ses nombreux prétendants à éconduire et de ses nouvelles toilettes qu'elle portera au prochain bal ou pique-nique. La guerre de Sécession vient troubler ce bel équilibre : les hommes valides sont requis pour se battre sous la bannière des Confédérés contre les Yankees. Scarlett, qui a vu l'homme qu'elle aimait en préférer une autre, épouse à la hâte un jeune homme qui meurt au combat quelques semaines plus tard. La voilà veuve et contrainte à une vie très dure à laquelle elle n'a pas été préparée, dans un monde de violence et de barbarie. Les aléas de la guerre la font se rapprocher du cynique Rhett Butler, profiteur sans scrupules, qui vient cependant en aide à sa famille.

         Margaret Mitchell fait le portrait d'une Amérique sudiste et conservatrice, où l'on achète des nègres comme des chevaux. Outre son aspect social, l'intérêt du roman réside dans l'évolution des personnages : Scarlett, futile, insouciante et parfaitement inculte, fait preuve au fur et à mesure de l'histoire d'un égoïsme intolérable, tandis que Rhett Butler perd de son cynisme et se révèle bien plus attachant ; enfin Mélanie, qui a ravi a Scarlett l'homme qu'elle convoitait, devient une véritable héroïne. La nouvelle traduction proposée par Josette Chicheportiche permet d'éviter le parler petit nègre et donne au récit une coloration un peu plus contemporaine, même si on ne dénonce jamais la discrimination et l'esclavage, qui semblent posés comme des éléments de réalité intangibles. Il est vrai cependant que l'époque de rédaction du roman, dans les années 30, était encore largement à la ségrégation, surtout dans le sud des Etats-Unis, et qu'on ne peut demander à Margaret Mitchell d'aller contre temps. Reconnaissons aussi que c'est l'occasion de redécouvrir un classique, malgré d'évidentes longueurs.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etast-Unis / 19ème siècle / guerre / esclavage / amour /


Posté le 16/09/2020 à 17:25

Nos espérances, Anna Hope / trad. de l'anglais. Gallimard, 06/2020. 353 p. 22 € ****

         Elles sont trois. Trois trentenaires londoniennes, qui ont partagé leurs années estudiantines dans une vieille maison délabrée de London Fields, leurs questions et leurs espérances sur l'à venir, leurs métiers, leurs amours, leur vie de femme. Dix ans plus tard, Hannah, Cate et Lissa ne se sont pas perdues de vue, malgré des destins bien différents. Hannah, mariée, subit sans succès des stimulations hormonales et des FIV, et souffre de l'enfant qui se fait attendre ; Lissa vivote de petits contrats d'actrice pour des publicités avant de décrocher temporairement un rôle dans une pièce de Tchekhov ; Cate, elle a un enfant, mais peine à s'épanouir dans son rôle de mère. Chacune projette dans l'autre ce qu'elle n'a pas, chacune est insatisfaite et toutes trois se demandent ce qu'elles ont fait de leurs projets et de leurs espoirs. D'une plume fine et sensible, à travers ces trois femmes fort différentes mais réunies par une solide amitié, Anna Hope s'interroge sur les désillusions, les compromis que suppose le fait de devenir adulte : la jeune femme que j'étais serait-elle fière de celle que je suis devenue pourrait être la question centrale de ce roman, qui a le mérite de ne jamais sombrer dans la nostalgie et le pathos. Hannah, Cate et Lissa ont fait ce qu'elles pouvaient, et c'est déjà beaucoup.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Angleterre / femme / destin /


Posté le 27/07/2020 à 16:38

Le soleil se lève aussi, Ernest Hemingway / trad. de l'anglais. Gallimard, 05/2019 (Folio). 276 p. **

         Dans le Paris des années 20, Jake Barnes est journaliste et mène une vie de patachon en compagnie de divers compagnons de beuverie, écrivains en veine ou en panne de succès, et Brett, une jeune femme délurée et séduisante qui collectionne les amants. Toute l'équipe se retrouve au pays basque pour assister à des corridas et à la célèbre fête de Saint Firmin.

         Voilà en deux phrases résumée l'intrigue de ce roman, portrait d'une génération perdue qui porte encore les stigmates de la Première Guerre mondiale. On s'alcoolise à outrance, et ça recommence dès le lendemain matin, on prend des taxis pour aller dans des bars où jouent des musiciens noirs, on discute, on s'invective, on applaudit le torero… Le lecteur, lui, se demande comment les personnages parviennent à tenir un tel rythme et attend vainement le drame, le moment où, enfin, l'histoire va basculer. Et rien ne se produit, on continue de boire, d'aimer, de quitter. Ce roman a le mérite de ressusciter le Paris de l'entre-deux guerres et l'Espagne des corridas, donnant l'occasion à Hemingway de laisser parler sa passion pour la tauromachie, mais sa construction très linéaire le rend longuet et peu attirant pour un lecteur contemporain, d'autant plus qu'il est desservi par une traduction vieillotte, notamment dans les dialogues. Relisons plutôt Le vieil homme et la mer !

 

Roman lu dans le cadre des 68 premières fois

 

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Espagne / Paris / entre-deux guerres / alcool / fête / tauromachie /


Posté le 22/06/2020 à 11:41

Aux bons soins du docteur Kellogg, T.C. Boyle / trad. de l'anglais. Grasset, 10/1994. 494 p. ***

         Battle-Creek, 1907. Le docteur John Harvey Kellogg, parangon du végétarisme et des lavements intestinaux, a ouvert un hôpital surnommé le San où se presse toute la bonne et riche société américaine. Les patients se plient aux menus à base d'algues, de yaourts, de son et de succédanés protéiniques, aux exercices de respirations approfondies et à la vibrothérapie sans broncher. Arrivent Wull et Eleanor Lightbody, la première ayant déjà suivi des cures au sanatorium est profondément convaincue que le bon docteur saura la guérir de sa neurasthénie. Quant à Will, il souffre de maux d'estomac et d'une propension à l'alcool dont sa femme espère bien qu'il va guérir, alors que lui est plus que méfiant. Dans la même ville, surfant sur la vague diététique, un certain Charlie Ossining tente de monter une usine à produits pour petits-déjeuners, à coup de bluff et d'arnaques…

         Ce tout jeune vingtième siècle découvre l'alimentation saine, végétarienne et naturelle, et les bienfaits d'une vie qui exclut tout excès, interdit la consommation de toute viande, d'alcool et même, pour les patients du San, toute pratique sexuelle. Le docteur Kellogg est prêt à tout pour faire passer son message et à séduire son public, quitte à comparer un steak bien saignant à un étron, ou à présenter une louve devenue végétarienne à coup de punition. Il est si convaincu qu'il en devient convaincant, et jette les premiers principes d'une alimentation diététique qui fera ensuite école et de nombreux émules. Quant au pauvre Will, on suit ses mésaventures avec amusement et effarement quand il se voit infliger des lavements bi quotidiens, des séances de bains sinusoïdaux – au cours de l'une d'entre elles, un des patients est électrocuté -, des siestes dans le parc en plein hiver, tandis que sa femme découvre les plaisirs du naturisme et des massages de la matrice. Autre mésaventure, celle de Charlie, qui ne trouve rien de mieux que de s'acoquiner avec George, le fils renégat du docteur, une sorte de vagabond puant et haineux, et de se faire avoir par un associé qui dépense tout l'argent que Charlie a pu extorquer à sa tante. L'ensemble est plutôt plaisant, drôle, quoiqu'un peu long et à mon sens souffrant des effets de style du traducteur qui ne craint pas les tournures de phrases un peu ampoulées ou parfois vieillies.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / diététique / médecine /

Posté le 13/05/2020 à 09:35

Hudson River, Joyce Carol Oates / trad. de l'anglais. Stock, 02/2004. 519 p. 24,15 € ***

         Salthill-sur-Hudson, petite ville aux alentours de New-York. On y vit plutôt richement dans un univers idyllique et très conventionnel. Adam Berendt, sculpteur et résident de la petite ville, meurt un jour d'été en voulant sauver une petite fille de la noyade. Sa mort ébranle toute la communauté, en particulier de nombreuses femmes proches de l'artiste, dont elles étaient plus ou moins amoureuses. Berendt était attirant, bien qu'assez laid et borgne ; il possédait un charisme entretenu par un certain mystère sur ses origines. Comme pour retrouver qui était vraiment Adam Berendt, chacun des proches va essayer de le retrouver, dans son travail d'artiste et ses sculptures inachevées, dans les lieux où il a vécu, dans sa philosophie de la vie…

         Finalement, la réponse importe peu. Adam Berendt restera insaisissable. Ce qui compte, c'est le parcours que fait chacun des personnages, qui en réalité se cherche lui-même. Et se trouve, finalement. Joyce Carol Oates leur donne vie à tous, et ne craint pas d'entrer dans des luxes de détails qui font parfois perdre de vue l'objet initial du roman. On a là un roman de mœurs, qui décrit la vie de gens aisés dans une petite bourgade américaine conventionnelle, des histoires d'adultère, de rivalité, d'ambitions déçues, de relations parents-adolescents, sans réelle intrigue au final si ce n'est la quête de soi. J'ai précédemment lu le dernier roman de l'auteur, Un livre de martyrs américains, et ai retrouvé dans celui-ci le même soin à disséquer la société de la middle-class, la même finesse d'observation, et le même talent à entrer dans la psychologie des personnages sans jamais les juger. Mais dans les deux cas, j'ai trouvé le récit trop long, plein de digressions, et sans réelle colonne vertébrale.

 

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Etats-Unis / communauté / famille / divorce / sculpture /


Posté le 13/05/2020 à 09:30

L'Attrape-cœurs, J.D.Salinger / trad. de l'anglais. Pocket, 1986. 253 p. ****

         Holden Caufield est exclu de son collège. A quelques jours avant les vacances de Noël, il décide de s'enfuir et de rentrer à New-York. Il va alors traîner, écumer les bars, tâcher de retrouver d'anciennes petites amies sans parvenir à trouver les réponses aux questions qui le taraudent. A mi-chemin entre l'enfance qu'il encense, par le truchement de sa petite sœur Phoebe, et l'âge adulte qu'il critique fortement, il peine à trouver sa place.

         Certes, le roman a pris quelques rides, et le lecteur d'aujourd'hui peut sourire, à suivre Holden dans son vagabondage urbain et psychologique, et dans sa révolte adolescente. Pourtant, ses réflexions sont d'une justesse qui fait fi des époques : "On ne sait jamais si les filles elles veulent vraiment qu'on arrête ou si elles ont juste une frousse terrible" (p.115), comme une prémonition du discours actuel sur la "zone grise" et la notion de consentement ; au musée, il y a ces mots d 'une lucidité extrême sur l'esquimau qui pêchera à jamais son poisson dans le lac gelé ou les cerfs qui n'en finiront pas de boire dans la mare (p.148) alors que le visiteur, lui, changera à chaque visite. Il y a en Holden un mélange d'égocentrisme enfantin et de maturité qui finit par rendre le personnage touchant, quand il regarde les jambes des filles et se demande quel sera leur avenir, imaginant qu'elles vont épouser pour la plupart des "mecs complètement abrutis". Et je ne résiste pas à trouver génial son discours lorsqu'il débarque complètement ivre chez sa petite amie, d'un réalisme incroyable. Voilà peut-être pourquoi il faut lire L'attrape-cœur.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis /adolescence / révolte /

 

Roman lu dans le cadre des 68 premières fois


Posté le 13/05/2020 à 09:24

Prête à tout, Joyce Maynard / trad. de l'anglais. Philippe Rey, 05/2015. 233 p. 20 € ****

         Susanne Maretto est une jeune femme ambitieuse qui rêve de devenir animatrice télé. Elle décroche un petit boulot de secrétaire dans une station locale et entreprend de réaliser un reportage auprès de lycéens. Trois d'entre eux acceptent de jouer le jeu et deviennent très proches de Suzanne. Mais son mari est assassiné. Suzanne est rapidement suspectée, ainsi que les trois jeunes gens.

       Joyce Mayard s'est inspirée d'un fait divers survenu en 1990 pour écrire son roman. Elle a choisi une écriture polyphonique, qui permet de mieux appréhender les mécanismes à l'œuvre dans tous ses personnages, jusqu'au meurtre. Il est question d'ambition, d'influence des médias, de fascination plus ou moins mortifère, de manipulation, de pauvreté culturelle, d'infidélité, d'obsession sexuelle et d'amour adolescent. L'ensemble est convaincant.

 

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couple / ambition / télévision / manipulation /


Posté le 12/05/2020 à 18:18

Lonesome Dove épisodes 1 et 2, Larry McMurtry / trad. de l'anglais. Gallmeister, 11/2011. 569 et 618 p. 11 € chaque volume. *****

Texas, 1880. Deux anciens rangers qui s'ennuient décident de voler du bétail au Mexique pour le conduire jusqu'au Nevada. Avec une équipe de cowboys recrutés pour l'occasion, Gus McCrae et le Capitaine Call vont ainsi parcourir cinq mille kilomètres à travers les plaines du far West. De nombreuses aventures les attendent…

Des chevaux, des Indiens plus ou moins pacifiques, des feux de camp, des plaines à n'en plus finir, des cowboys, des rivières, des morts aussi, tous les ingrédients réunis dans une épopée incroyable au temps des pionniers de la grande Amérique. Sur presque 1200 pages, l'auteur nous emmène sur les traces des vieux rangers et de nombreux personnages, le jeune Newt, Joshua Deets le pisteur, le shérif Jake Spoon, et aussi des femmes, Lorena et surtout Clara, qui incarne le féminisme et l'indépendance avant l'heure. On ne s'ennuie jamais, McMurtry sait mêler avec talent des intrigues secondaires à son intrigue principale, et donne une vraie dimension à tous ses personnages. Et surtout, on s'y croirait : on sent le feu de bois, on dort à même le sol, enveloppé dans son tapis de selle, on crache la poussière après une journée à suivre les têtes de bétail, on traverse à cheval des cours d'eau, on pleure en entendant chanter des Irlandais exilés… Un western qui peint une Amérique aux grands espaces déjà plus très vierges et conquis peu-à-peu par les colons.

 

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Etats-Unis / 19ème siècle / western / grands espaces /


Posté le 12/05/2020 à 18:12

Un livre de martyrs américains, Joyce Carol Oates / trad. de l'anglais. Philippe Rey, 09/2019. 860 p. 25 € ***

         Un matin de novembre 2009, dans la petite ville de Muskegee Falls, Ohio, Luther Dumphy tire sur le Dr Augustus Vorhees et son garde du corps, devant le Centre des femmes où le médecin pratiquait des avortements. Il est arrêté et sera à l'issue d'un second procès condamné à mort, puis exécuté après être resté plus de quatre ans dans le couloir de la mort.

         Joyce Carol Oates nous fait découvrir les différents acteurs du drame. D'abord, c'est Dumphy, ses moments d'errance et sa foi profonde qui l'amène à fréquenter assidument une église anglicane où se réunissent également des militants pro life, qui martèlent devant les centres des femmes ou sur les réseaux sociaux : "Cessez de vous mentir, aucun bébé ne choisit de mourir.". Petit à petit, il se convainc d'être la main de Dieu. C'est Dieu qui veut qu'il agisse afin de sauver la vie d'enfants innocents que l'assassin Vorhees a tués. Nous entrons ensuite dans l'univers de la famille Vorhees, jusqu'au drame qui  fait littéralement éclater les relations entre la mère et ses enfants qu'elle ne parvient plus à élever. Les choses sont racontées par Naomi, la cadette, qui entreprend de réunir toutes les archives concernant son père. La parole est ensuite à Dawn, la fille de Dumphy, sensiblement du même âge que Naomi, terriblement mal dans sa peau, fervente chrétienne elle aussi, qui narre les péripéties du procès. L'auteur donne ensuite à voir le parcours croisé des deux jeunes filles, l'une découvrant sa grand-mère paternelle tandis que la deuxième devient boxeuse, sous le nom de "Marteau de Jésus".

         Joyce Carol Oates a le talent d'entrer dans la tête de ses personnages et de ne jamais prendre parti pour l'un ou pour l'autre. Pro life, pro choix, elle ne se positionne jamais. Par ailleurs elle donne à voir certains aspects de la société américaine contemporaine, en particulier l'horreur des exécutions pratiquées par des amateurs puisqu'aucun personnel médical n'accepte de se charger des injections létales. L'exécution de Dumphy tient à ce titre le hit parade de l'horreur absolue. Dans ce livre bien fait mais à mon sens beaucoup trop long, on voit bien à quel point les deux protagonistes, assassin et victimes, sont les martyrs d'une cause à deux faces.

 

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Etats-Unis / avortement / meurtre / peine capitale / famille /

 

Posté le 12/05/2020 à 18:05

Dévorer le ciel, Paolo Gordano. Le Seuil, 08/2019. 454 p. 22,50 €. ***

      En vacances chez sa grand-mère dans un petit village des Pouilles, Teresa fait la connaissance de trois jeunes hommes qui vivent dans la ferme voisine : Nicola, Bern et Tommaso. Les jeunes gens deviennent amis et de revoient à chaque période estivale, jusqu'au moment où des liens amoureux l'unissent à Bern et lui font quitter sa famille milanaise pour s'installer avec lui dans une sorte de communauté qui prône le partage et l'autarcie complète. Avec ses enthousiasmes et ses désenchantements.

       Mais l'idéal se heurte aux ambitions, aux tensions et aux querelles. La communauté se fissure. Teresa et Bern s'accrochent à leur terre, expérimentent de nouvelles méthodes d'agriculture plus respectueuses de la nature, et tentent vainement, de plus en plus désespérément, d'avoir un enfant. Ce récit fait le portrait d'une génération née dans les années 90, pleines d'idéaux qui se cognent à la dureté de la vie.

 

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Italie / communauté /


Posté le 12/05/2020 à 17:58

Starlight, Richard Wagamese / trad. De l'anglais. Zoe, 01/2019. 268 p. 21 € *****

Francklin Starlight vit dans une ferme en Colombie Britannique, dans l'ouest canadien. Il y mène une vie en accord avec la nature et prend de remarquables photos de la faune sauvage. A quelques centaines de kilomètres, Emmy parvient à quitter son compagnon alcoolique et violent et prend la fuite avec sa fille Winnifred. La faim l'amène à voler dans un supermarché où elle est arrêtée. Pour lui éviter la prison et le placement de sa fille en foyer, Starlight lui propose de l'embaucher comme cuisinière.

Si j'avais pu mettre dix étoiles au lieu de cinq, je l'aurais fait. Richard Wagamese nous offre là un roman d'une beauté envoûtante, qui met en scène deux êtres écorchés vifs, qui traînent un lourd passé de violence et de souffrance, réunis par le destin et surtout par une nature sauvage que Franck va amener Emmy à connaître, dans un apprentissage patient et progressif. L'auteur raconte merveilleusement les forêts sombres qui laissent soudain apparaître de somptueux paysages, les cerfs aux andouillers imposants ; sous sa plume ample et fluide on apprend à marcher comme un cougar, à respirer profondément pour calmer son cœur, à écouter les bruits multiples du vivant tout autour, le bruissement des feuillages, les pas d'un cervidé, le chant lointain d'une rivière ; comme Emmy, on rêve de toucher le flanc palpitant d'une biche surgie des bois. Le roman, inachevé à la mort de son auteur, souffre sans doute de légères imprécisions ou de maladresses ; il lui manque un épilogue que les éditeurs ont reconstitué d'après d'autres texte de Wagamese. Une fin suffisamment floue pour laisser place à l'imagination du lecteur qui doit combler le vide : comment Emmy, aidée par Starlight, pourra-t-elle échapper à son ancien compagnon qui se promet de se venger en lui infligeant les pires sévices ? L'inachèvement même de ce récit lui donne une dimension supplémentaire, comme une histoire qui ne voudrait pas finir et qui va nous accompagner longtemps.

Un extrait qui restitue parfaitement la beauté de l'instant et la plume élégante de Wagamese : "C'était un mâle. Ses bois étaient développés et larges et quand il relevait la tête pour renifler l'air, leur inclinaison rappelait un panier qui aurait capté la lumière sur ses andouillers si bien que, pendant un instant, le soleil s'y trouvait empalé." p.158


Catégorie : Littérature étrangère

Canada / nature / violence /


Posté le 26/01/2020 à 12:02

Le cœur de l'Angleterre, Jonathan Coe / trad. de l'anglais. Gallimard, 10/2019 (Du monde entier). 545 p. 23 € ****

         A travers les tribulations de la famille Trotter, Colin qui vient de perdre son épouse, ses enfants, Benjamin l'écrivain installé au cœur du Shropshire, Loïs qui s'éloigne de son mari, sa fille Sophie qui termine ses études, et les copains de classe de Benjamin, Jonathan Coe nous fait une chronique de la décennie 2010 en Angleterre, et des mécanismes qui ont progressivement amené les Britanniques à voter pour le Brexit. L'écrivain en question, l'éditorialiste politique, l'éditeur historique, la jeune universitaire… autant de personnages dont la petite histoire nous permet de mieux comprendre la grande, et de percevoir les enjeux culturels et sociaux qui ont conduit à cette sortie de l'Europe qu'une partie de la population – essentiellement les jeunes - juge aujourd'hui catastrophique. Où en est l'Angleterre aujourd'hui ? Que signifie être anglais ? Qu'est devenu le sens de la chanson traditionnelle que Benjamin écoute en boucle le soir de l'enterrement de sa mère : "Adieu vieille Angleterre, adieu / Adieu richesse sonnante et trébuchante / Si le monde s'était arrêté dans ma jeunesse / Je n'aurais jamais connu ces tristesses". Une ambiance douce-amère pour un roman qui mêle avec intelligence l'aspect social et politique à la vie de quelques personnages très attachants.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Angleterre / famille / Brexit / chronique /


Posté le 26/01/2020 à 11:18

La vie en chantier, Pete Fromm / trad. de l'anglais. Gallmeister, 08/2019. 381 p. 23,60 € ****

         Marnie et Taz filent le parfait amour, malgré les fins de mois difficiles. Ils retapent depuis plusieurs années leur maison dans le Montana, et doivent accélérer les travaux lorsque Marnie découvre qu'elle est enceinte. Et puis Marnie meurt en donnant naissance à Midge. Taz va devoir faire son deuil tout en assumant l'éducation de sa fille, seul, et en continuant son travail d'ébéniste.

         Il y a d'abord l'hébétude, l'incompréhension, l'impossibilité d'admettre la réalité, et cette enfant dont il faut s'occuper, tout ce qui reste de Marnie, et la maison loin d'être terminée. Taz est incapable de se prendre en main, et il faudra toute l'obstination et l'amitié de ses proches pour qu'il revienne tout doucement à la vie. Au-delà du deuil qui œuvre, de la tristesse du veuf, le récit parle d'amitié, de soutien, du travail du bois et de l'odeur du pin, de paternité, de ces choses qui avancent malgré tout et sans qu'on les veuille. Il ne s'agit pas d'oublier, mais de cesser de s'opposer au réel, pour l'accepter, et, petit à petit, se reconstruire. Au bout, finalement, le chantier de la maison s'achève, et la lumière revient.

Catégorie : Littérature étrangère

famille / deuil / paternité /

Posté le 25/10/2019 à 17:59

La cage dorée, Camilla Läckberg / trad. du suédois. Actes Sud, 04/2019 (Actes noirs). 341 p. 22,80 € ****

         La cage dorée, c'est la vie que mène Faye, épouse de Jack Adelheim, le millionnaire fondateur de l'entreprise Compare : son rôle se borne à élever leur fille de 6 ans et d'entretenir des relations plus ou moins amicales avec d'autres femmes de, profitant comme elle de maisons luxueuses et d'un train de vie somptuaire. Mais Faye, intelligente et travailleuse, a abandonné ses études en Sup de Co pour entretenir Jack, qui lui paraît bien ingrat et devient de plus en plus distant. Elle continue cependant à se soumettre à la dictature de leur mariage, jusqu'au jour où elle découvre qu'il la trompe.

         La suite est une lente dégringolade : Jack demande le divorce, se met en ménage avec sa maîtresse, tandis que Faye perd toute fortune et tout statut social. C'est alors qu'elle décide d'ourdir sa vengeance. Elle a pour elle son intelligence et sa lucidité, mais aussi des amies qui lui donnent un coup de main non négligeable, et surtout la haine héritée de son passé et du temps où elle s'appelait Matilda et qu'elle subissait la violence de son père. La vengeance est un plat qui se mange froid, mais qui tient ses promesses : à travers le personnage de Faye, qui prend sa revanche sur un mari égoïste et sur son propre père, ce sont toutes les femmes trompées qui s'expriment. Camilla Läckberg a écrit un roman très féministe, et semble avoir voulu illustrer le mouvement me too, même si la reine du polar suédois ne peut s'empêcher de donner à la fin de son récit une couleur policière.

Catégorie : Littérature étrangère

adultère / vengeance / féminisme /

Posté le 09/08/2019 à 10:20

Ocre et bleu cobalt, Sarah J. Harris / trad. de l'anglais. JC Lattès, 05/2019. 451 p. 22,90 € *****

         Jasper Wishart a 13 ans. Il est atteint de troubles autistiques et souffre de prosopagnosie – incapacité à reconnaître les visages – et de synesthésie – associer une perception sensorielle à une autre. Ainsi transforme-t-il les sons en couleurs, ce qui lui permet de différencier les individus, et surtout de peindre des tableaux abstraits qui représentent les scènes qu'il est dans l'incapacité de raconter. Notamment celle du meurtre de Bee Larkham, sa jeune voisine qui partageait avec lui sa passion pour les perruches venues loger dans l'arbre de son jardin. Ce soir-là, Jasper s'est blessé avec un couteau de cuisine, et a frappé Bee. Mais ses souvenirs se mélangent, il n'a que les couleurs pour tâcher de s'exprimer, tandis qu'il est très préoccupé par la menace que fait planer un voisin sur la vie des perruches auxquelles il reproche d'être trop bruyantes.

         Le jeune garçon s'accuse du meurtre, tandis que son père s'emploie à dissimuler toutes les preuves. Pourtant, ce n'est pas si simple. Mais comment rendre compte de ce qui s'est réellement passé, quand on est incapable de reconnaître les gens, qu'on a des obsessions, qu'on a peur de tout changement, et qu'on est hypersensible ? Malgré son handicap, Jasper va parvenir à la vérité. Ce récit nous fait entrer au cœur de l'autisme et de ces pathologies méconnues, il nous fait également percevoir la peine d'un enfant à vivre sans sa mère décédée d'un cancer deux ans plus tôt, et celle de son père qui tâche d'élever son fils seul, du mieux qu'il peut. Bleu cobalt de la voix de sa mère, ocre brun de celle du père, frites jaunes des aboiements du chien, triangles rouges de la colère, Jasper a une toute autre perception du monde que la nôtre, handicapante certes, mais tout aussi riche.

Catégorie : Littérature étrangère

autisme / troubles cognitifs / famille / meurtre /

Posté le 09/08/2019 à 10:19

L'empreinte, Alexandria Marzano-Lesnevich. Sonatine, 01/2019. 465 p. 22 €. ***

         Louisiane, 1992. Un petit garçon de 6 ans est assassiné par Ricky Langley, un jeune homme un peu sauvage qui faisait du baby sitting. Il était connu des services de police pour des précédents de pédophilie, mais dans la petite ville où il avait élu domicile, personne n'était au courant de son passé. Il est condamné à la peine de mort puis, lors d'un deuxième procès, voit sa peine commuée en prison à perpétuité. L'auteure, qui a fait des études de droit avant de se tourner vers la littérature, décide de se plonger dans toutes les archives et de remonter le fil de l'histoire de Langley, pour comprendre les motivations de l'homme, et pour essayer de définir les responsabilités – celle du meurtrier, mais aussi celle de la société. Elle s'interroge sur les circonstances atténuantes éventuelles, sur le fait que Langley était psychologiquement instable, et malade, sur la notion de pardon, et sur sa propre existence. Elle a en effet été victime d'abus de la part de son grand-père, comme sa sœur, et a profondément souffert du déni familial. Il résulte de tout cela un résultat hybride, entre enquête juridique, confession intime et essai sur la responsabilité. Nul doute que le travail est énorme, qu'il s'agisse des travaux de recherche ou d'analyse personnelle ; il semble évident qu'il y a dans ce récit une réelle fonction de résiliation et de pardon. A travers l'histoire de Ricky Langley, c'est sa propre relation au crime et au pardon que l'auteur interroge. Ce n'est pas inintéressant, c'est un peu long, notamment dans les comptes-rendus de procès qui portent une forte identité américaine.

Catégorie : Littérature étrangère

meurtre / pédophilie / procès / autobiographie /

Posté le 15/07/2019 à 16:53

Idaho, Emily Riskovitch / trad. de l'anglais. Gallmeister, 05/2018. 358 p. 23,50 €

         Ann enseigne le piano lorsqu'elle fait la connaissance de Wade, qui a vécu une dizaine d'années plus tôt un drame épouvantable : sa femme a tué l'une de leurs filles tandis que l'aînée a disparu. Ann est obsédée par le désir de comprendre ce qui a pu se passer cet été de 1995, alors que son mari sombre peu-à-peu dans la maladie – une sorte d'Alzheimer - et perd la mémoire.

         Me voilà bien perplexe pour rendre compte d'un roman qui a obtenu de nombreuses louanges, mais que j'ai peiné à lire. Bien sûr, il y a de jolis passages sur le rapport qu'entretient Wade avec les chiens ou la nature, sur cette région du Wyoming encore un peu sauvage, mais l'ensemble semble trop s'éparpiller pour que cela suffise. Le récit suit plusieurs fils : celui d'Ann, dans le présent de la narration ; celui de la famille de Wade, jusqu'au jour du drame ; celui de Jenny enfin, condamnée à perpétuité après le meurtre de sa fille. Il en résulte une narration un peu chaotique, sans que cette construction décousue soit justifiée par une révélation progressive. Le rythme est lent, qui suit les hypothèses d'Ann, ses réflexions, ses interrogations ; elle semble tout aussi prisonnière de son obsession que l'est Jenny dans sa cellule, et de façon finalement très vaine : elle n'apprendra rien de plus que Wade ait jamais pu lui dire, la petite fille disparue ne sera jamais retrouvée. Ces deux femmes, qui auraient pu être de beaux personnages romanesques, semblent bien ternes et inconsistantes : la première dans sa quête inutile, la deuxième dans ce rôle de détenue sans caractère. Une déception.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / grands espaces / meurtre / famille / maladie /

Posté le 14/05/2019 à 17:58

Mon désir le plus ardent, Pete Fromm / trad. de l'anglais. Gallmeister, 04/2018. 284 p. 22,70 € *****

Maddy et Dalt sont guides de rivière (passeurs, dans leur jargon) dans le Wyoming. C'est là qu'ils se rencontrent et tombent fou amoureux. Ils se marient au bord de la Buffalo Cork et travaillent dans l'entreprise de rafting qu'ils ont fondée. Ce pourrait être une simple histoire d'amour, mais Maddy se met à souffrir de vertiges : alors qu'elle est enceinte, on lui diagnostique une sclérose en plaques. Elle parvient à mener sa grossesse à terme mais, ensuite, la maladie reprend l'offensive.

Maddy, la narratrice, ne nous épargne rien des tracas dont elle souffre, de plus en plus envahissants : sa main droite devenue peu-à-peu paralysée, son absence de désir, les tentatives plus ou moins heureuses de leur couple de maintenir des rapports intimes, ses trous de mémoire, d'élocution. Il y a du désespoir, mais de la lumière aussi. Car malgré tout, leur couple tient, grâce à la force de Maddy et à l'amour que lui porte Dalt, qui abandonne son travail de rafteur pour reprendre sa formation d'origine de charpentier, et aménage petit-à-petit la maison au handicap de sa femme. Maddy voit grandir ses enfants, qui lui font une démonstration de course dans son fauteuil roulant, dans une scène mémorable d'autodérision, à l'image de ces deux personnages : on se doute que de toute façon cela va mal finir, mais l'important n'est pas la fin, c'est qu'il y a avant. Pete Fromm a su avec adresse éviter l'écueil du pathos, pour nous offrir un récit où le courage de "faire avec" prime sur le reste.

 

Catégorie : littérature étrangère

grands espaces / Etats-Unis / rivière / couple / maladie /

Posté le 14/05/2019 à 17:29

La ferme du bout du monde, Sarah Vaughan / trad. de l'anglais. Le Livre de Poche, 11/2018. 470 p. 8,40 € ***

 Angleterre, 2014. Lucy, infirmière, voit son quotidien chamboulé par deux événements : elle commet une erreur médicale qui la fait douter de ses compétences, et découvre que son mari l'a trompée. Elle décide de revenir dans la ferme familiale en Cornouailles, où vivent sa mère Judith et sa grand-mère Maggie. Cette dernière s'était liée, pendant la guerre, avec deux adolescents que leurs parents avaient envoyés là pour les préserver des horreurs de la guerre, et qu'elle n'a jamais revus.

Le roman est composé de va-et-vient entre passé et présent. Les éléments se mettent progressivement en place pour que Lucy et sa famille découvrent l'histoire de Maggie. Le récit est touchant, avec une bonne dose d'émotion qui ne peut que déclencher l'empathie chez le lecteur : on ne peut qu'éprouver de la sympathie pour la malheureuse Maggie et ses amours contrariées, pour la pauvre Lucy bafouée par son mari, pour la famille qui ne parvient pas à éponger ses dettes. A l'exception du mari de Lucy, nous avons là des personnages bons, victimes du mauvais sort, qui parviendront, parce que justement ils sont gentils, à se sortir des ornières de leur existence. Une lecture plaisante, sans plus.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Angleterre / guerre / famille / secret/

Posté le 18/04/2019 à 10:32

Anatomie d'un scandale, Sarah Vaughan / trad. de l'anglais. Préludes, 01/2019. 439 p. 16,90 € ****

         James Whitehouse, sous-secrétaire d'Etat rattaché au ministère de l'Intérieur, député et proche du Premier Ministre, est accusé de viol par son assistante parlementaire avec laquelle il entretenait une liaison depuis plusieurs mois. Kate Woodcroft, avocate et défenseur des droits des femmes, spécialisée dans les délits à caractère sexuel, défend la plaignante, bien décidée à faire tomber cet homme politique charismatique. Le roman donne voix aux différents acteurs de ce procès : Kate, Sophie, l'épouse de James, James lui-même, Ali, l'amie des années d'université de Kate. Le propos est assez féministe, même si on sent que l'auteur s'attache à rester impartiale. Dans la bouche de Kate, il y a une sorte de revanche sur le pouvoir des hommes : "On nous a programmées pour amadouer et apaiser, pour soumettre notre volonté à celle des hommes. Oh, bien sûr, certaines d'entre nous se sont rebellées contre cet état de fait – et on nous juge intraitables, difficiles, péremptoires et acariâtres." (p.194).

         Je n'ai en général pas de revendication féministe, même si l'égalité homme-femme et la liberté individuelle sont à mes yeux des revendications essentielles. Ce discours est juste, dans ce qu'il dénonce du conditionnement des femmes, de leur soumission au pouvoir de l'homme. Qui passe par le sexe, d'ailleurs, et c'est tout l'objet de ce roman : Olivia était-elle ou non consentante ? Au nom de quoi s'est-elle sentie contrainte d'accepter un rapport sexuel violent ? En quoi ses sentiments pour James l'ont-ils poussée à se laisser faire ? Au-delà de cette problématique qui n'est pas sans faire écho au mouvement "Me too", il y a le personnage de Kate Woodcroft, impitoyable, opiniâtre, qui a trouvé dans son métier d'avocate le moyen de se venger d'une jeunesse malheureuse.

Catégorie : Littérature étrangère

droits / femme / harcèlement /

 

Posté le 26/02/2019 à 17:35

De si bons amis, Joyce Maynard / trad. de l'anglais. Philippe Rey, 01/2019. 328 p. 22 € ****

         Helen McCabe, la quarantaine, a perdu la garde de son fils Oliver et pointe aux Alcooliques anonymes. Elle fait la rencontre d'Ava et Swift Havilland, couple richissime qui décide de l'aider. Elle travaille pour Ava en tant que photographe tandis que Swift parvient à faire venir son fils dont il s'occupe, au point qu'ils deviennent des membres de la famille. Mais les Havilland se révèlent progressivement moins altruistes qu'il n'y paraissait, voire intrusifs et manipulateurs. Le processus d'emprise est bien amené, notamment à travers les doutes qui traversent de temps à autre Helen, quand les Havilland ne cachent plus le mépris qu'ils nourrissent à l'égard d'Elliott, le seul homme qu'Helen a pu rencontrer et qui est amoureux d'elle. Personnage fragile, Helen ne pouvait que tomber sous la coupe de ces deux êtres qui se révèlent d'une cruauté sans égale, et il faudra un événement tragique pour qu'enfin leur victime ouvre les yeux et se révolte. Le phénomène est soudain, et m'a semblé un peu rapide, compte tenu de la mise en place de l'enfermement qui prend les trois quarts du roman. Il ne faut que quelques pages pour que les Havilland tombent de leur piédestal, après quoi Helen songe avec regret aux mises en garde d'Elliott – un peu tard.

         Si le thème de la manipulation peut sembler rabattu, l'originalité réside dans le fait que les bourreaux soient deux, et qu'il s'agisse d'une emprise amicale, et non œuvrant au sein d'un couple. On pourrait penser qu'il soit plus facile pour la victime de s'en défaire, il n'en est rien : les Havilland deviennent les père et mère de substitution qu'Helen n'a jamais eus et dont elle a tant besoin, et ceux qui vont lui permettre de récupérer la garde de son fils. Une mécanique implacable parfaitement présentée.

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / famille / amitié / manipulation / psychologie /

Posté le 23/02/2019 à 16:10

Room, Emma Donaghue / Trad. de l'anglais. Stock, 08/2011 (La Cosmopolite). 400 p. 21,50 €

         La thématique de l'enfermement, inspiré de faits divers sordides, est un thème exploité à maintes reprises dans des ouvrages d'une qualité littéraire inégale mais dont le contenu continue de donner froid dans le dos. Le roman de l'auteure canadienne d'origine irlandaise n'échappe pas à la règle, qui nous présente un couple formé par "Maman," – on ne connaîtra jamais son nom civil -, kidnappée à 19 ans, qui a accouché seule dans sa cellule d'un petit garçon nommé Jack, qu'elle élève dans 9 mètres carrés. L'originalité du récit réside dans le fait qu'il est raconté par l'enfant, qui vient de fêter son cinquième anniversaire, avec ses mots et ses yeux de petit garçon. Pour lui rendre la vie supportable, sa mère l'a bercé de fables, lui racontant que dans le Dehors, rien n'est réel.

         Leur évasion rocambolesque permet à la mère de recouvrer sa liberté. C'est plus difficile pour Jack, qui ne supporte pas la lumière du soleil, ne perçoit pas les perspectives, ne sait ni descendre un escalier ni s'habituer aux chaussures et a bien du mal à comprendre les règles qui régissent ce monde étranger. Jack est un alien fraîchement débarqué de sa planète, et dans ses questions, sa candeur, ses peurs, on devine une interrogation sur notre propre société de consommation. C'est sans doute cela, au-delà de l'horreur suscitée par cette histoire, au-delà de l'admiration qu'on peut éprouver pour cette mère débordante d'amour, qui donne toute sa force à ce récit.

 

 
Catégorie : Littérature étrangère
moeurs / famille / maltraitance /

Posté le 18/01/2019 à 14:24

Posté le 30/10/2018 à 16:38

Middlesex, Jeffrey Eugenides / Trad. de l’anglais. Points, 06/2004. 667 p. 8,90 €

         Un beau roman mettant en scène un personnage hermaphrodite, née fille, éduquée comme telle, qui à l’adolescence va faire un choix contraire. Mais la thématique n’est pas le sujet principal de cet ample roman : l’auteur fait la part belle aux grands-parents de Calliope, émigrés grecs arrivés à New-York dans les années 20, se font une place dans cette Amérique industrieuse et entreprenante sans renier jamais leurs origines. Comment, au sein d’une famille si typique, j’allais dire si envahissante, se construit-on ? C’est l’une des questions de ce roman passionnant, mené par une plume alerte et pleine d’humour.


 

Catégorie : Littérature étrangère

famille / initiation / Etats-Unis /

Posté le 12/09/2018 à 13:14

Une vie comme les autres, Hanya Yanagihara (trad. de l'anglais). Buchet-Chastel, 12/2017. 813 p. 24 €

         C'est l'histoire de quatre garçons : JB, Jude, Malcom et Willem. Venus d'horizons et de familles très différentes, ils se rencontrent à la fac et ne se quitteront plus lorsqu'ils s'installeront à New York. Chacun mène sa carrière : JB est un peintre ambitieux très vite reconnu par le milieu artistique ; Jude, stupéfiant d'intelligent, devient un avocat redoutable ; Malcom est un architecte renommé ; enfin Willem, comédien, quitte les planches pour jouer dans des films à succès et fait une belle carrière. On pourrait suivre la vie de chacun d'eux, mais le récit se focalise surtout sur Jude, dont on découvre petit à petit les sévices atroces qu'il a subis au cours de son enfance, qui font de lui un homme fragile, persuadé de ne pouvoir être aimé.

         Du quatuor émergent deux figures, celle de Jude et celle de Willem, dont on suit la carrière montante au fil de ses tournages, tandis que Jude devient l'avocat froid et efficace qui remporte tous ses procès. JB, à part lors de quelques épisodes liés aux expositions de ses œuvres, et Malcom dont on ne saura guère plus que ce qui est dit au début de l'ouvrage, sont mis de côté rapidement, au profit du tandem et de ses proches, Andy, le médecin dévoué qui soigne les blessures de Jude, impuissant devant son désespoir, et Harold, devenu son père adoptif, prêt à tout endurer pour aimer ce fils qu'il a choisi, probablement afin de sublimer la perte de son propre petit garçon, à l'âge de 5 ans. Cet aspect psychologique est révélateur du dessein de l'auteur, qui semble avoir voulu, tout au long de ce récit, montrer les séquelles irréversibles d'une enfance placée sous le signe de la violence et de la pédophilie – à de demander comment Jude parvient encore à vivre, après avoir vécu sous la coupe de frère Luke, ce curé pervers qui va lui apprendre à se scarifier pour se soulager. Jude a une vision abjecte de lui-même, et cependant il va batailler pour être comme n'importe qui, ainsi que lui reproche JB, lors d'une dispute : "Tu vas passer ta vie à paraître complètement normal, ennuyeux et banal ?". C'est exactement le combat de la vie de Jude, être normal, ce qu'il va parvenir à faire un temps – quelques années de bonheur.

Cependant, malgré cette approche intéressante, le roman est long, beaucoup trop log, et l'auteur aurait gagné à éliminer nombre de digressions qui font perdre le fil de la narration. Et que dire des pages de description des sévices dont Jude a été victime, comme le dos de la main enduit d'huile par l'un des curés, auquel il met le feu pour le punir de lui avoir dérobé sa montre ? Des où l'on nous décrit en détail l'apparition de nouvelles plaies sur ses jambes abimées, qui s'infectent et se nécrosent ? Rien ne nous sera épargné, ira crescendo dans l'horreur. Fallait-il à ce point s'y complaire ? S'agissait-il de susciter la pitié chez le lecteur ? C'est chose faite assez rapidement. La suite ne génère que du dégoût… Reste la psychologie de Jude, ce survivant.

Malgré un indéniable travail de rédaction et de restitution d'un milieu artistique et intellectuel new-yorkais, ce roman est décidément trop long et indécent de violence. Sur la forme, les phrases sont parfois trop longues, au point que l'auteur se perd dans sa syntaxe. Dans la traduction française, on peut relever de nombreuses fautes d'accord, certains verbes mis au pluriel alors que le sujet, placé en avant dans la phrase, est au singulier, ou inversement*; une expression curieuse probablement due à une faute de traduction : "Il se garda la face pendant tout le dîner" (p.201) ; des fautes d'orthographe inadmissibles : "coûter très chères" (p.311), "Aucune des personnes qu'il connaissait n'était un accroc : ni aux drogues..." (p.315) ; enfin une perle : Jude cisèle des "feuilles de basilique" (p.719). J'ai du mal à concevoir qu'un éditeur comme Buchet-Chastel ait laissé passer de telles énormités...

 

*p.263 "quelqu'un à qui il pouvait demander n'importe quoi, […], qui ne portaient que des tee-shirt à manches longues que parce qu'il avait froid…"

p.404 "Andy était resté en ville ce week-end-là, et il avait déclaré qu'ils nous retrouveraient à son cabinet dans vingt minutes" (qui est ce "ils" ?)

p.436 "Tous les moyens qui l'avaient aidé par le passé – la concentration, les scarifications – ne l'aidaient plus. Ils s'entaillaient de plus en plus…"

p.437 A propos de la notoriété de Willem : "Il te regarde parce que tu es connu."

p.565 "…tandis qu'ils descendaient la petite colline qui partait en pente depuis l'endroit où la maison se tiendrait, puis viraient à gauche en direction de la forêt" (c'est le chemin qui vire à gauche, pas les hommes !)

p.743 "Cependant il vit des gens suspendus à des poulies au sommet du panneau et se rendit compte qu'il recouvrait la publicité de peinture…"

p.765 "un accrochage […] constitué de dessins et de petites peintures, d'études et d'expérimentations que JB réalisaient entre ses grandes séries."

 

Roman lu dans le cadre du Prix des Lectrices de Elle

 

 

 

Catégorie : Littérature étrangère

moeurs / amour / Etats-Unis /

Posté le 14/02/2018 à 14:45

Un dîner avec Edward, Isabel Vincent. Trad. de l'anglais. Presses de la Cité, 04/2018. 17 €

Une journaliste new-yorkaise, en pleine débâcle sentimentale, presque dépressive, fait la connaissance du père d'une amie, un vieux monsieur au veuvage récent et douloureux. Elle s'engage à lui rendre visite régulièrement. Edward aime la cuisine et les mets fins, et se fait un plaisir de convier régulièrement Isabel à sa table. Petit à petit, une amitié se crée autour de ces dîners.

Voilà un joli roman autobiographique, et l'histoire d'une amitié pleine de respect et de tendresse. Edward parvient à dompter son chagrin, Isabel à prendre la décision de quitter son mari. Elle semble prête pour une nouvelle vie, tandis qu'on se doute bien qu'Edward, du haut de ses 93 ans, risque de ne plus guère préparer de bons dîners, mais c'est en grande partie grâce à lui qu'elle a parcouru tout ce chemin, d'où ce récit dont on sort attendri et ému.

 

Roman lu dans le cadre du Prix des Lectrices de Elle

 

 

Catégorie : Littérature étrangère

autobiographie / Etats-Unis / amitié /

Posté le 29/01/2018 à 16:42

Une histoire des loups, Emily Fridlund. Gallmeister, 08/2017 (Nature Writing). 294 p. 22,40 €

Un coin perdu du Minnesota. Madeline, surnommée Linda, vit avec ses parents dans une cabane retranchée au milieu des bois. C'est une adolescente un peu sauvage et solitaire, qui se met à observer ses nouveaux voisins qui viennent d'emménager de l'autre côté du lac. Elle sympathise assez rapidement avec Patra, la mère, et son fils Paul, âgé de 4 ans, dont elle devient la baby-sitter, et passe d'autant plus de temps avec eux que le père, Léo, n'est pas là, requis par ses travaux de recherche en astronomie. Cependant, elle se rend compte assez vite qu'il y a dans cette famille quelque chose d'étrange, notamment chez Paul qui, malgré son âge et son intelligence évidente, est élevé comme un bébé. Linda sent le malaise qui grandit lorsque Léo arrive...

L'histoire se déroule sur quelques mois, débutant à la fin de l'hiver pour s'achever dans la touffeur de l'été. La nature est omniprésente et presque envahissante, et tout semble receler une menace cachée : la forêt est à la fois paisible et dangereuse, l'eau du lac dort mais elle produit des vagues et du courant, les conditions météorologiques sont plus qu'extrêmes. Linda semble s'accommoder de tout cela et nullement gênée par les 8 kilomètres quotidiens qu'il lui fait parcourir pour se rendre au lycée dans la neige épaisse et le froid ; élevée à la dure, elle ne semble pas particulièrement sensible à cette menace permanente que l'auteur rend présente à chaque page. Selon elle, les loups ne sont pas dangereux et n'attaquent pas l'homme. Est-ce pour cette raison qu'elle n'a pas saisi le malaise qui règne dans la famille de Paul, dont le lecteur se demande très vite s'il n'est pas victime de maltraitance ? Elle semble le deviner, sans en être consciente, ce qui explique qu'elle ne soit pas intervenue particulièrement quand la santé du petit garçon a commencé franchement à se détériorer.

Cette ambiance inquiétante est donc parfaitement rendue. En revanche, l'histoire est racontée de façon décousue, au gré des souvenirs de Linda, qui passe de l'époque de ses 15 ans où elle a fréquenté Patra et Paul, à l'âge adulte où, après ses études, elle vit en ville ; en plus de ces chassés croisés entre présent et passé, au sein même de chaque époque, la narration brise la continuité, perd le lecteur. Cette perte de repères s'accompagne d'une présentation incomplète des personnages, qui apparaissent de façon pointilliste : il est difficile de se faire une idée claire de chacun. On suppose une influence probable de la religion : les parents de Madeline/Linda sont des anciens d'une communauté hippie, vivant retranchés du monde, dans un confort très relatif, et sa mère récite des passages entiers de la Bible ; Patra et Léo semblent eux aussi faire partie d'une église extrémiste, ce qui expliquerait qu'ils n'aient pas prodigué à leur enfant les soins nécessaires. Le tout donne l'impression d'épisodes brouillés par la brume, celle du lac et des souvenirs de Linda. Nul doute que ce rendu soit volontaire, mais on sort de ce récit un peu perdu et l'esprit embrouillé, comme au sortir d'un rêve de grands lacs et de forêts sombres où avancerait la silhouette de Linda, accompagnée de ses quatre chiens.

 

 

Catégorie : Littérature étrangère

grands espaces / Etats-Unis /

Posté le 14/01/2018 à 18:28

La symphonie du hasard livre 1, Douglas Kennedy. Belfond, 10/2017. Trad. de l'anglais. 363 p. 22,90 €

Alice Burns, jeune éditrice new-yorkaise, rend visite chaque semaine à son frère Adam, emprisonné pour malversations. Lors de sa dernière visite, il lui révèle un secret de famille qui la bouleverse. C'est l'occasion pour elle de revenir sur son passé et les liens qui unissent cette famille de la middle class de banlieue, entre ses deux frères et ses parents, l'un ancien militaire psycho rigide et exigeant, et l'autre absente, dépressive et abrutie d'anxiolytiques.  

Voilà le lecteur plongé dans l'Amérique des années 70. A la fac de Bawdouin où étudie Alice, on fume des Viceroy et des pétards, on s'habille baba cool, on boit de la bière ; c'est l'époque de Van Morrison et consorts que ressuscite Douglas Kennedy, qui raconte également les cours de littérature – fort érudits, et probables souvenirs de l'auteur -, les fraternités et les compétitions de baseball, sur fond de contexte politique, Nixon qui arrive au pouvoir tandis que se produit le coup d'état de Pinochet au Chili et qu'a lieu la guerre du Vietnam…

Un roman américain typique, avec des références pas toujours compréhensibles pour un lecteur français, qui change des derniers opus de l'auteur qu'on peut sans complexe qualifier de sentimentaux. Et une belle fresque des années 70 où s'affrontent courant puritain et révolte hippie. Le secret de famille révélé par le frère de l'héroïne est en fait un prétexte à une sorte de voyage dans le temps. Sera-t-il davantage exploité dans le deuxième tome ?

 

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / moeurs / initiation / années 70 /

Posté le 14/01/2018 à 18:23

La salle de bal, Anna Hope. Trad. de l'anglais. Gallimard, 11/2017. 383 p. 22 €

         La jeune Ella Fay est internée à l'asile de Sharston. D'abord révoltée, elle se fait à la vie quotidienne de l'établissement où hommes et femmes vivent séparés, les uns travaillant aux champs ou comme fossoyeurs, les autres cantonnées à la blanchisserie. Seul moment de rencontre pour les pensionnaires, le bal du vendredi soir dont l'orchestre est dirigé par le Dr Fuller. C'est là qu'Ella va faire la connaissance de John Mulligan, un Irlandais taciturne…

         Trois voix se croisent dans ce récit, chacun révélant une part de sa vie, notamment Charles Fuller, musicien à l'ambition rognée par les exigences paternelles, ce qui lui vaut d'avoir obtenu le poste de médecin assistant à Sharston, où il expérimente les bienfaits de la musique sur les malades mentaux tout en songeant au bienfondé de la ségrégation entre hommes et femmes à l'œuvre dans l'asile. Petit à petit, il en vient à prendre parti pour la généralisation de la stérilisation pour les indigents. Ce personnage est sans doute le plus complexe des trois : il tâche d'obtenir de son directeur le droit de participer au congrès organisé à Londres par la Eugenics Education Society, tout en luttant contre son homosexualité latente. Il va d'ailleurs être à l'origine du malheur d'Ella et de John, pour lesquels le lecteur ne peut qu'éprouver une forte empathie.

         L'histoire, brodée à pas menus, dans la touffeur de cet été anglais anormalement chaud, nous plonge dans le fonctionnement d'un asile d'aliénés au début du siècle, avec tous ses excès et sa cruauté, et nous fait découvrir les grandes théories scientifiques en vogue à l'époque et qui font froid dans le dos, l'eugénisme et la vasectomie appliquée sans anesthésie par un des grandes chantres de la stérilisation de masse. L'ensemble est passionnant, écrit dans une langue fluide, pour un très beau moment de lecture, qui allie élégance, intrigue et dépaysement.

 

Roman lu dans le cadre du Prix des Lectrices de Elle

 

 

Catégorie : Littérature étrangère

Grande Bretagne / folie / 19ème siècle / amour /

Posté le 10/01/2018 à 13:40

Le cœur battant de nos mères, Britt Bennett. Autrement, 08/2017. 338 p. 20,90 €

         Une communauté noire de Californie est soudée autour du Cénacle, dirigé par le pasteur Sheppard. Les Mères, veuves et dévouées, savent tout ce qui s'y passe, et notamment l'histoire de Nadia Turner. A 17 ans, celle-ci vit seule avec son père depuis le suicide de sa mère. Elle fréquente Luke, le fils du pasteur, dont elle va se retrouver enceinte. Elle finit par avorter, avec l'aide financière des Sheppard, en cachette de tous. Employée par la femme du pasteur pour lui servir d'assistante, elle rompt avec Luke et devient amie d'Aubrey, une jeune femme un peu distante arrivée dans la communauté. Elle part ensuite faire des études, tandis qu'Aubrey et Luke se rapprochent.

         On suit la vie de ces trois jeunes gens sur une dizaine d'années, leurs espoirs parfois déçus, leurs choix plus ou moins contraints. Un roman agréable et facile à lire, écrit par une jeune auteure de 22 ans, qui a le mérite de nous faire plonger dans la vie de cette petite ville et de cette communauté croyante, où tout finit par se savoir et rien ne se fait impunément.

         Roman lu dans le cadre du Prix Littéraire des Lectrices de Elle édition 2018.


 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / moeurs /

Posté le 26/10/2017 à 17:43

Les marches de l'Amérique, Lance Weller. Gallmeister, 03/2017 (Nature Writing). 355 p. 24,20 €

         Etats-Unis, milieu du 19ème siècle. Un chariot avance dans la plaine, conduit par Tom et Pisgmeat, deux amis d'enfance, accompagnés par Flora, une métisse récemment affranchie, qui les a embauchés pour l'aider à accomplir sa vengeance : rapporter à son ancien maître le corps, conservé dans du sel, de son fils unique, qui l'avait emmenée avec lui pour en faire une prostituée dont il profitait des gains. Le convoi rencontre sur sa route de nombreux malfrats et les deux hommes, malgré leur réputation de tueurs, peinent à s'en sortir.

         Sanglant. C'est l'adjectif qui résume ce récit, sur fond de guerre entre Américains et Mexicains, alors que le Texas est en cours d'annexion aux Etats-Unis. La violence est présente à chaque chapitre, qu'il s'agisse de règlements de comptes entre hommes avinés, des nuits horribles où Flora et ses consœurs d'infortune voient défiler sous leur tente nombre d'hommes tous plus puants les uns que les autres, ou encore de massacres perpétrés par des bandes employées par le gouvernement, officiellement pour débarrasser le pays des Indiens, officieusement pour récolter les scalps de populations villageoises entières, qui leur garantiront quelques émoluments. Cruelle image que cette Amérique en construction, où l'esclavage a encore cours et où il vaut mieux éviter d'être seul et désarmé. Le récit évolue entre l'enfance de Pigsmeat et de Tom, leur parcours respectif avant de se retrouver, des années plus tard, pour reprendre leur existence de vagabonds des plaines et de rencontrer Flora. Chaque retour en arrière permet de mieux appréhender les trois personnages réunis pour cette drôle de cavale qui met à mal le prestige de la conquête de l'Ouest et s'achève aux marches de l'Amérique, tout près de la frontière mexicaine.

 

 

Catégorie : Littérature étrangère

grands espaces / Etats-Unis / 19ème siècle /

Posté le 14/08/2017 à 16:42

Léa, Pascal Mercier. 10-18, 03/2012. 282 p. 7,50 €

        Le narrateur rencontre lors d'un séjour à Saint-Rémy-de-Provence Van Vliet, un homme désespéré qui lui raconte son histoire, qui fait douloureusement écho à la sienne. Veuf, il ne parvient pas à redonner la joie de vivre à sa fille Léa, qui n'a que 6 ans à la mort de sa mère. Un jour, la petite fille entend jouer du violon dans les couloirs du métro. Elle est fascinée par l'instrument, si bien que son père voit là un moyen de lui redonner goût à la vie. La petite prend des cours et s'avère très talentueuse : encouragée par son professeur et par son père, elle devient une excellente musicienne à force de travail acharné. Elle est ensuite prise en charge par un célèbre virtuose, qui lui ouvre les portes de la gloire. Mais celle que l'on surnomme "Mademoiselle Mozart" est passionnée et entière, au point de jalouser la nouvelle femme de son mentor et de rompre tout contact avec lui. Dévorée par sa passion, elle commence à manifester des troubles psychologiques qui inquiètent son père…

         Ce roman, publié en 2007 en Allemagne, est construit avec un enchâssement de récits : le narrateur transcrit les propos de Van Vliet en donnant des indices sur sa propre vie, qui fait écho à celle de son compagnon de voyage. Dans ce choix de construction, et dans la façon de mêler les deux histoires, il "sonne" très 19ème. On croirait lire Maupassant ou Daudet, d'autant plus que la langue est de facture très classique.

         L'auteur montre avec rigueur la folie dans laquelle Léa va peu à peu sombrer. On sait dès le début qu'elle est hospitalisée et que psychiatre a interdit à Van Vliet de revoir sa fille. Et pour cause : du père, qui va jusqu'à détourner des millions sur des contrats du laboratoire pharmaceutique pour lequel il travaille pour acheter un splendide violon de maître, ou de la fille qui vit, pense et respire par son instrument, on se demande qui est le plus fou. Et c'est sans doute cela qui dévore Van Vliet, et fascine le narrateur : par amour pour sa fille, n'a-t-il pas contribué à la conduire à la folie ?

 

 

Catégorie : Littérature étrangère

Allemagne / folie / musique / famille /

Posté le 18/07/2017 à 16:17

Choucroute maudite, Rita Falk. Mirobole, 03/2017. 241 p. 19,50 €

Franz Eberhofer, flic un peu paumé, a dû quitter la brigade de Munich pour s'installer dans son village natal de Neiderkaltenkirschen, où il vit avec le Papa fan des Beatles et la Mémé acheteuse complusive de promotions. Il passe son temps entre de petites enquêtes sans importance, des bières chez son copain Wolfi et des promenades avec son chien Louis II. Mais voilà qu'un par un, les quatre membres de la famille Neuhofer meurent tous accidentellement, tandis que la maison est achetée une fortune pour être reconvertie en station service. Dans le même temps débarque au village une inconnue prénommée Mercedès, venue restaurer le manoir familial, qui fait tourner la tête de Franz....

L'histoire, racontée par Franz, se passe en quelques mois, au cours desquels le narrateur nous présente le menu des repas concoctés par la Mémé, les mésaventures qui arrivent aux uns et aux autres – le Papa qui se coupe deux orteils avec sa faux, son frère qui se fait plaquer et plumer par sa Roumaine, son meilleur copain qui se fait casser la figure par un mari jaloux…. -, et la progression de son enquête sur ce qu'il est bien le seul à estimer être un quadruple meurtre. Pour ses collègues, Franz est un raté tout juste bon à établir des contraventions pour ivresse au volant, et pour ses amis un gentil copain amoureux transis de la belle Mercédès qui le mène en bateau. Anti héros par excellence, il va tout de même dénoncer un trafic immobilier de grande ampleur et acquérir une belle stature.

Je m'attendais à un récit truculent, j'ai été déçue : certes, les personnages sont drôles, les situations cocasses et les dialogues réussis, mais le style volontairement relâché, l'emploi du présent de narration et le choix d'une narration purement chronologique et linéaire, contribuent à mon avis à amoindrir la qualité du roman.  

 

Catégorie : Littérature étrangère

Allemagne / humour /

Posté le 01/06/2017 à 17:46

Homesman, Glendon Swarthout. Gallmeister, 04/2014 (Nature Writing). 281 p. 23,10 €

       Etats-Unis, dans les confins de l'Ouest, milieu du 19ème siècle. Quatre femmes de pionniers, usées par les conditions de vie difficiles, le manque d'hygiène et de nourriture, sont devenues folles. Elles ne peuvent rester là. Un tirage au sort va désigner, parmi les quatre maris, lequel va jouer le rôle de rapatrieur pour les ramener à leur famille, dans l'Est. Le volontaire désigné refusant de se plier à son devoir, c'est Mary Bee Cudy, une ancienne institutrice devenue fermière, qui va se charger de la mission. Sur un coup de tête, elle sauve la vie de George Briggs, un voleur de terres promis à la pendaison, et exige qu'il l'accompagne. Ces deux être que tout oppose – l'éducation, la morale – vont ainsi convoyer les quatre malheureuses, enfermées dans un fourgon, pendant un périple à travers les plaines de l'Ouest, qui va durer plusieurs semaines.

         Ce roman offre un aperçu terrifiant de justesse des conditions de vie des pionniers du Far Ouest, à des lieues des clichés générés par les westerns : certes, il y a les chevaux, les colts et les fusils et de – rares – saloons où l'on boit du whisky frelaté tout en se fichant de grands coups de poing dans la figure, mais Swarthout nous fait découvrir l'envers du décor. Sous la plume se montrent la misère crasse du quotidien de ces familles vivant dans des maisons creusées dans la terre, l'isolement, la monotonie des travaux des champs, la famine, les conditions de vie d'une rudesse à faire pâlir le cow-boy le plus endurci ; incapables de les prendre en charge, les maris des femmes devenues folles n'ont d'autre choix que de les renvoyer à leur famille, les séparant ainsi de leurs enfants. Seul rayon de lumière dans cette vie ingrate, le pasteur et la dévouée Mary Bee, qui à eux deux tentent de soutenir la communauté.

Sous cet aspect réaliste, c'est évidemment la relation entre Mary Bee et le prétendu George – dont on ne connaîtra jamais le vrai nom – qui est intéressante. Chacun apprend à connaître l'autre et se débarrasse d'une partie de ses préjugés ; pour George, c'est un véritable parcours initiatique qui va le mener, non pas à la rédemption, mais à aimer la vie. Et à danser.

Ce livre, déniché tout tordu dans un marché aux puces, m'a offert une belle plongée dans la littérature des grands espaces.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Etats-Unis / 19ème siècle / grands espaces / folie /

Posté le 09/05/2017 à 15:24

Le dimanche des mères. Graham Swift. Gallimard, 01/2017 (Du Monde entier). 142 p. 14,50 €

Angleterre, 1924. Jane Fairchild, 22 ans, est employée comme bonne chez les Niven. En ce dimanche 30 mars où le printemps est flamboyant, elle bénéficie d'une journée de congé que les domestiques utilisent pour aller rendre visite à leur mère. Orpheline, Jay a projeté de passer sa journée à lire l'un des romans qu'elle emprunte dans la bibliothèque de Mr Niven, jusqu'à ce qu'un appel bouleverse son programme : elle a rendez-vous avec Paul Sheringham, son amant depuis sept ans, qui s'apprête à épouser une riche héritière. Pour l'heure, ses parents étant partis déjeuner, il a la maison pour lui seul et y convie Jay pour ce qui sera sans doute leur dernier rendez-vous…

         L'histoire est entrecoupés de réflexions ou d'extraits d'interviews de Jane Fairchild devenue écrivain, mais cette belle journée dominicale est elle-même racontée de façon décousue, puisque le roman s'ouvre sur le moment où Jay et Paul viennent de faire l'amour, pour revenir en arrière, avant l'appel de Paul, avant de retourner au lit des amants. Ce va-et-vient constant entre plusieurs temps de la narration rend la lecture un peu laborieuse et amène le lecteur à prendre une certaine distance par rapport au récit et à l'histoire de Jay.  La mort de Paul, au volant de sa voiture qu'il conduit trop vite pour aller retrouver sa riche fiancée, est annoncée pudiquement, avec une sobriété surprenante et parfaitement maîtrisée : L'horloge sonna deux heures. Elle ignorait encore qu'il était déjà mort." Malheureusement, le parti-pris de l'auteur de passer d'un moment de la journée à un autre, au passé de Jay, à son avenir, vient faire oublier très vite l'effet de surprise de ce drame. L'obligation de Jay de contenir son émotion n'arrange pas les choses, et il résulte de cette lecture une impression de froideur un peu déconcertante.

Ajoutons à cela les réflexions et les opinions de Jay devenue une vieille dame, qui me semblent sans réel lien avec cette journée si décisive dans la vie de Jay, notamment les dernières pages où elle évoque ses lectures de jeunesse et l'influence de Joseph Conrad sur son propre travail, qui me paraissent, en regard du thème du roman, inutiles.

         J'ai donc été déçue par cette lecture dont j'attendais beaucoup.

 

 

Catégorie : Littérature étrangère

Grande Bretagne / amour / 19ème siècle /

Posté le 05/04/2017 à 13:06

L'amie prodigieuse tome 2 : Le nouveau nom. Elena Ferrante. Gallimard, 11/2016 (Folio). 623 p. 8,80 €

Lila vient tout juste épouser Stefano. Le soir de ses noces, elle s'est rendu compte que son mari était sous la coupe des frères Solara, et n'a que mépris pour sa lâcheté. Stefano se révèle alors tel qu'il est: brutal, inculte, et violent. Pendant ce temps, Lenù poursuit ses études au lycée où elle est reçue brillamment au bac. Après être restées longtemps séparées, les deux jeunes filles se retrouvent dans la ville balnéaire d'Ishia, où Lila rémunère son amie afin qu'elle prenne soin d'elle. A la plage, elles retrouvent Nino Sarratore, dont Lenù est toujours secrètement amoureuse. Mais le jeune homme n'a d'yeux que pour Lila, qui semble beaucoup l'apprécier également. Les deux jeunes gens deviennent amants, sous le regard douloureux de Lenù qui sitôt l'été terminé va se consacrer à ses études et s'installer à Pise...

Les destins des deux jeunes filles se séparent clairement : Lila semble vouée à une vie médiocre, malgré l'aisance dans laquelle l'a placée son mariage avec Stefano, tandis que Lenù tente d'échapper au déterminisme de ses origines et lutte contre ses complexes physiques et sociaux pour se faire une place dans cette société bourgeoise et cultivée. Elles se séparent et se retrouvent de temps à autre, et malgré toutes leurs différences, Lila continue d'exercer sur son amie la même attirance et la même répulsion. A travers le parcours de ses deux héroïnes, Elena Ferrante ressuscite l'Italie du Sud dans les années 60, la pauvreté de la vie quotidienne, la condition des femmes, et la montée du communisme.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Italie / amitié /

Posté le 28/03/2017 à 14:18

L'amie prodigieuse tome 1 : Enfance, adolescence. Elena Ferrante. Gallimard, 01/2016 (Folio). 430 p. 8,20 €

Elena Greco, dite Lenù, et Raffaella Cerullo, surnommée Lila, deviennent amies dès l'âge de 6 ans et partagent leurs jeux et leurs découvertes dans un quartier populaire de Naples. Toutes les deux intelligentes, elles pourraient poursuivre leurs études, mais ce n'est pas là le destin promis aux jeunes filles napolitaines quand elles sont d'origine modeste. Aidée et poussée par son institutrice, Lenù continue tout de même sa scolarité au collège, puis au lycée, tandis que Lila travaille pour son père, cordonnier, et finit par épouser Stefano l'épicier, à 16 ans. Malgré ces différences, les deux jeunes filles continuent de se fréquenter plus ou moins régulièrement, chacune influencée par l'autre, entre amitié et rivalité.

         L'Italie des années 50-60 et du "miracle économique" est racontée ici sous la plume de la narratrice Lenù qui restitue à merveille l'ambiance de la vie dans ces quartiers populaires où les liens familiaux et l'obéissance au mari, au mâle, régentent toute la communauté. Lenù est fascinée, dès le début, par Lila : cette dernière est noiraude, mal fagotée, effrontée, méchante, suprêmement intelligente ; intelligente, Lenù l'est aussi, mais elle est plus scolaire, réservée, blonde, myope et contrainte de porter des lunettes qui, elle en est persuadée, la défigurent. A l'adolescence, arrivent les boutons et les rondeurs, tandis que Lila devient une liane brune qui a un chic incroyable. A elle le succès, les fastes du mariage, et un bel appartement tout neuf tandis que Lenù n'a même pas de quoi payer ses livres scolaires.

         Tout est donc dit : Lila est l'amie prodigieuse – dans tous les sens du terme : c'est un prodige, une surdouée, l'amie extraordinaire et précieuse de Lenù, celle qui la fait avancer, mais elle a aussi cette étrangeté, cet aspect un peu monstrueux que peuvent revêtir les prodiges, car elle en fait trop, capable d'être aussi une rivale sans pitié, voire un véritable monstre d'égoïsme. J'ignore si le titre original contient la même ambiguïté, mais la traduction est judicieuse. 

         En tout cas, le roman se lit facilement, même si le style est assez littéraire, et si j'ai été parfois agacée par Lenù que je trouve un peu complaisante envers elle-même et parfois bien timorée, j'ai beaucoup aimé plonger dans ces Trente Glorieuses italiennes où les marqueurs sociaux (l'usage du dialecte, le statut des femmes…) font revivre une époque aux teintes sépia.

 

Catégorie : Littérature étrangère

Italie / amitié / 1950 /

Posté le 23/03/2017 à 15:24

Graham Joyce. Lignes de vie. Gallimard (Folio), 10/2015. 462 p. 8,70 €

Coventry, Angleterre, 1946. Dans une ville qui porte encore les stigmates de la guerre et du terrible bombardement de novembre 1940, Martha, une septuagénaire un peu étrange, veille sur sa famille composée de sept filles. Certaines sont mariées, d'autres vivent seules, seule lui pose problème Cassie, dont les "absences" la rendre incapable de se débrouiller, au point qu'elle doit abandonner le bébé qu'elle vient d'avoir. Mais elle ne parvient pas à s'en séparer, si bien que la famille est contrainte de s'occuper de l'enfant. Il va ainsi vivre chez l'une ou l'autre de ses tantes, aimé tout de même par sa mère qui fait ce qu'elle peut pour contribuer à son éducation. Très vite, il s'avère que l'enfant, comme Cassie et Martha, a des talents particuliers : comme elles, il peut voir les morts…

         Un roman qui flirte avec le fantastique sans y entrer complètement. Je l'ai apprécié pour l'aspect historique de la vie quotidienne de l'Angleterre de l'après-guerre, et pour les liens assez formidables qui réunissent les membres de cette drôle de famille, en incluant les maris. Le récit est parfois un peu longuet, mais comme le lecteur ne peut faire autrement que de se prendre de sympathie pour les personnages, la lecture en est plutôt agréable, notamment dans sa dernière partie, où les choses s'accélèrent.


 

Catégorie : Littérature étrangère

Grande Bretagne / guerre / fantastique /

Posté le 31/12/2016 à 17:33

Graham Joyce. Comme un conte. Bragelonne (L'Autre), 02/2015. 443 p. 20 €

La campagne anglaise, un soir de Noël. On frappe à la porte de Dell et Mary Martin. Se présente à eux une jeune femme dépenaillée et sale, qu'ils reconnaissent cependant aussitôt : c'est Tara, leur fille, qui n'avait pas seize ans lorsqu'elle a disparu, vingt ans plus tôt. Et la Tara qui se tient devant eux n'a pas pris une ride. Elle prétend dans un premier temps qu'elle a voyagé, puis elle finit par avouer la vérité à son frère Peter : elle a voyagé, certes, mais dans le monde des fées, où elle a passé six mois, jusqu'à ce qu'une "charnière" et la convergence de la lune lui permettre de revenir dans le monde réel. Evidemment, personne ne la croit, ni ses parents qui l'aiment mais la trouvent fort étrange, ni son frère qui l'emmène voir un psy. Seul Richie, son petit ami de l'époque, lui accorde le bénéfice du doute...

Graham Joyce est un romancier anglais spécialisé en littérature américaine. Son récit est mâtiné de ses deux influences : le monde féérique, qui a la part belle dans son récit, et une construction imparable de l'histoire dans laquelle alternent les chapitres à la narration classique à la troisième personne, et d'autres où différents personnages prennent la parole – Peter, le psy, Richie. Ca fonctionne très bien, et tout paraît cohérent. Le lecteur croit d'emblée Tara, en une sorte de pacte tacite passé avec l'auteur, mais l'intelligence de ce dernier réside moins dans le fait qu'on se demande comment diable Tara va réussir à persuader ses proches qu'elle dit la vérité que dans la façon dont un séjour chez les fées a des conséquences sur sa vie d'humain ordinaire. Et c'est la force de Graham Joyce : prendre un fait anormal, et impossible, et faire qu'on y croie.

Ajoutons à cela les personnages secondaires très attachants, comme Richie, l'ancien petit ami de Tara, musicien doué mais raté devenu quasi alcoolique qui joue dans les pubs, ou Jack, le fils de Peter, qui passe la moitié du récit à trouver comment racheter le fait d'avoir tué le chat de la voisine à coups de carabine, et on aura pour le coup un roman divertissant mais aussi dépaysant. Un gros coup de cœur pour ce mois de décembre.


Catégorie : Littérature étrangère

fantastique / Grande Bretagne /

Posté le 15/12/2016 à 17:54

Angela Huth. Souviens-toi de Hallows Farm. Gallimard (Folio), 09/2012. 490 p. 8,70 € et Les Filles de Hallows Farm. Gallimard (Folio), 03/200. 557 p. 9,70 €

J'ai lu l'été dernier Les Filles de Hallows Farm, qui raconte l'histoire de trois volontaires agricoles qui vont travailler dans une ferme du Devonshire. ll y a Prue, la délurée, coiffeuse à Manchester et prête à tout pour séduire un homme ; Stella, qui rêve d'enseigner le piano et se dit amoureuse de Philip, un enseigne de vaisseau ; enfin Agatha, l'étudiante de Cambridge, que le vieil employé de la ferme va très vite surnommer la "sainte". Très vite, ces trois filles vont, outre leur aide aux travaux quotidiens et leurs soins aux animaux, bouleverser la vie du couple âgé et celle de leur fils Joe...

Dans la suite du roman, on retrouve Prue, qui rentre chez elle à Manchester pour reprendre le salon de coiffure familial et vivre avec sa mère. Un soir où elles rentrent du salon, elles sont prises en charge par Barry Morton, un vendeur de voitures devenu riche, qui demande à revoir Prue. Elle finit par l'épouser : la voilà donc installée dans une vie conforme à ses ambitions, dans une belle maison cossue de Manchester. Mais elle s'ennuie très vite, Barry est absent toute la journée, et au demeurant elle l'aime bien sans en avoir jamais été tombée amoureuse. Elle a la nostalgie de sa vie à Hallows Farm, si bien qu'elle trouve un petit boulot dans une ferme des environs, qui l'occupe. Mais elle finit par tomber enceinte...

Un roman sentimental et facile à lire, avais-je pensé en refermant Les Filles de Hallows Farm. Mais il y a l'ambiance de l'époque (nous sommes en 1941), le décor (le rythme des saisons à la ferme, les animaux, la vie au grand air) qui m'avait agréablement dépaysée. Il n'est pas surprenant qu'Angela Huth en ait écrit la suite ; ce qui est plus étonnant, c'est qu'elle ait choisi Prue, alors qu'elle ne me paraissait pas être la plus intéressante des trois filles. Stella m'intéressait beaucoup plus. Mais on est séduit par le personnage, qui s'avère plus futé et moins futile qu'il n'y paraît, même si Prue reste une incorrigible séductrice. Un bon moment donc, pour une lecture détente.


Catégorie : Littérature étrangère

Grande Bretagne / amitié / guerre /

Posté le 30/11/2016 à 09:24