C'est l'histoire de quatre garçons :
JB, Jude, Malcom et Willem. Venus d'horizons et de familles très différentes,
ils se rencontrent à la fac et ne se quitteront plus lorsqu'ils s'installeront à
New York. Chacun mène sa carrière : JB est un peintre ambitieux très vite
reconnu par le milieu artistique ; Jude, stupéfiant d'intelligent, devient un
avocat redoutable ; Malcom est un architecte renommé ; enfin Willem, comédien,
quitte les planches pour jouer dans des films à succès et fait une belle
carrière. On pourrait suivre la vie de chacun d'eux, mais le récit se focalise
surtout sur Jude, dont on découvre petit à petit les sévices atroces qu'il a
subis au cours de son enfance, qui font de lui un homme fragile, persuadé de ne
pouvoir être aimé.
Du quatuor émergent deux figures, celle
de Jude et celle de Willem, dont on suit la carrière montante au fil de ses
tournages, tandis que Jude devient l'avocat froid et efficace qui remporte tous
ses procès. JB, à part lors de quelques épisodes liés aux expositions de ses
œuvres, et Malcom dont on ne saura guère plus que ce qui est dit au début de
l'ouvrage, sont mis de côté rapidement, au profit du tandem et de ses proches,
Andy, le médecin dévoué qui soigne les blessures de Jude, impuissant devant son
désespoir, et Harold, devenu son père adoptif, prêt à tout endurer pour aimer
ce fils qu'il a choisi, probablement afin de sublimer la perte de son propre
petit garçon, à l'âge de 5 ans. Cet aspect psychologique est révélateur du
dessein de l'auteur, qui semble avoir voulu, tout au long de ce récit, montrer
les séquelles irréversibles d'une enfance placée sous le signe de la violence
et de la pédophilie – à de demander comment Jude parvient encore à vivre, après
avoir vécu sous la coupe de frère Luke, ce curé pervers qui va lui apprendre à
se scarifier pour se soulager. Jude a une vision abjecte de lui-même, et
cependant il va batailler pour être comme n'importe qui, ainsi que lui reproche
JB, lors d'une dispute : "Tu vas passer ta vie à paraître complètement
normal, ennuyeux et banal ?". C'est exactement le combat de la vie de
Jude, être normal, ce qu'il va parvenir à faire un temps – quelques années de
bonheur.
Cependant, malgré
cette approche intéressante, le roman est long, beaucoup trop log, et l'auteur
aurait gagné à éliminer nombre de digressions qui font perdre le fil de la
narration. Et que dire des pages de description des sévices dont Jude a été
victime, comme le dos de la main enduit d'huile par l'un des curés, auquel il
met le feu pour le punir de lui avoir dérobé sa montre ? Des où l'on nous
décrit en détail l'apparition de nouvelles plaies sur ses jambes abimées, qui
s'infectent et se nécrosent ? Rien ne nous sera épargné, ira crescendo dans
l'horreur. Fallait-il à ce point s'y complaire ? S'agissait-il de susciter la
pitié chez le lecteur ? C'est chose faite assez rapidement. La suite ne génère
que du dégoût… Reste la psychologie de Jude, ce survivant.
Malgré un indéniable
travail de rédaction et de restitution d'un milieu artistique et intellectuel
new-yorkais, ce roman est décidément trop long et indécent de violence. Sur la
forme, les phrases sont parfois trop longues, au point que l'auteur se perd
dans sa syntaxe. Dans la traduction française, on peut relever de nombreuses
fautes d'accord, certains verbes mis au pluriel alors que le sujet, placé en
avant dans la phrase, est au singulier, ou inversement*; une expression
curieuse probablement due à une faute de traduction : "Il se garda la face
pendant tout le dîner" (p.201) ; des fautes d'orthographe inadmissibles :
"coûter très chères" (p.311), "Aucune des personnes qu'il
connaissait n'était un accroc : ni aux drogues..." (p.315) ; enfin une
perle : Jude cisèle des "feuilles de basilique" (p.719). J'ai du mal
à concevoir qu'un éditeur comme Buchet-Chastel ait laissé passer de telles
énormités...
*p.263
"quelqu'un à qui il pouvait demander n'importe quoi, […], qui ne portaient
que des tee-shirt à manches longues que parce qu'il avait froid…"
p.404 "Andy
était resté en ville ce week-end-là, et il avait déclaré qu'ils nous
retrouveraient à son cabinet dans vingt minutes" (qui est ce
"ils" ?)
p.436 "Tous les moyens qui l'avaient
aidé par le passé – la concentration, les scarifications – ne l'aidaient plus.
Ils s'entaillaient de plus en plus…"
p.437 A propos de la notoriété de Willem :
"Il te regarde parce que tu es connu."
p.565 "…tandis qu'ils descendaient la
petite colline qui partait en pente depuis l'endroit où la maison se tiendrait,
puis viraient à gauche en direction de la forêt" (c'est le chemin qui vire
à gauche, pas les hommes !)
p.743 "Cependant il vit des gens
suspendus à des poulies au sommet du panneau et se rendit compte qu'il
recouvrait la publicité de peinture…"
p.765 "un accrochage […] constitué de
dessins et de petites peintures, d'études et d'expérimentations que JB
réalisaient entre ses grandes séries."
Roman lu dans le cadre du
Prix des Lectrices de Elle
Catégorie : Littérature étrangère
moeurs / amour / Etats-Unis /