2022/10 Les filles d'Egalie, Gerd Brantenberg / trad. du norvégien. Zulma, 02/2020. 370 p. 22 € ****

Le pays d'Egalie est dirigé par une femme, la directrice Brame, tandis que son mari veille avec amour sur leur foyer et leur fils Pétronius. A 15 ans, celui-ci s'apprête à faire ses premiers pas dans le monde, le soir du bal des débutants. Mais le jeune homme, long et maigre, dont l'apparence est à l'opposé des canons esthétiques en vigueur, refuse de rester cantonné à sa condition d'homme-objet et rêve de devenir marine-pêcheuse. Mais comment pourra-t-il échapper aux conventions et aux règles draconiennes qui régissent cette société matriarcale ?

Bienvenue en Egalie ! Ou plutôt en Inégalie. En effet cette société prétendument égalitaire est tout le contraire : aux femmes le pouvoir, les postes-clés, les décisions, le droit de se promener torse nu, les bars réservés, l'amour à la hussarde, le choix d'opter pour un partenaire à qui elles proposeront un "pacte protège-paternité". Aux hommes l'idéal domestique, l'éducation des enfants et les activités frivoles, la mise en plis de la barbe, les rondeurs si délicieuses et l'obligation, à l'adolescence, de porter un soutien-verge que l'on va exhiber sous la robe chasuble. Renversement des rôles donc, qui n'est pas sans rappeler les années où, en France, une femme ne pouvait ni travailler ni ouvrir un compte en banque sans l'aval de son mari.

En Egalie, la domination féminine est si puissante que la langue elle-même s'est féminisée : "elles" l'emporte au pluriel pour désigner des femmes et des hommes, "elle" est évident que la fumanité doit sa survie à la femme car "ce sont les hommes qui procréent" – à eux d'ailleurs de prendre la pilule. J'ignore si le norvégien comporte de tels marques genrées que le français, mais la traduction est une réussite, qui montre parfaitement à quel point la domination d'un sexe dit "fort" sur l'autre appelé "faible" ou "beau" est devenue parfaitement acceptée et inconsciente. Au-delà de l'histoire de Pétronius et de ses copains, qui entament leur révolution masculiniste, ce récit, écrit en 1962, montre bien les préjugés à l'œuvre dans l'inconscient collectif et illustre, de façon parfois amusante, parfois grinçante, le long chemin que les femmes ont dû suivre pour faire craquer les coutures de leurs corsets – et qui n'est pas encore achevé.

 

Catégorie : Littérature étrangère

femme / parité / inégalité / domination / révolte /


Posté le 10/02/2022 à 11:42