Thésée, sa vie nouvelle, Camille de Toledo. Verdier, 08/2020. 252 p. 18,50 € ****
Un homme quitte sa région d'origine
avec ses enfants pour partir vers une ville de l'Est, espérant s'y construire
une nouvelle vie. Il fuit, Thésée, il fuit la mort de ses parents, et surtout
celle de son frère, qui s'est pendu à une conduite de gaz. Mais il n'est pas
entièrement libéré : il a pris avec lui des cartons d'archives qu'il répugne à
ouvrir. Ceux-ci contiennent l'histoire de son arrière-grand-père. Dans ce deuil
qu'il n'arrive pas à faire, et dans la peur qui le hante au point de le rendre
littéralement malade, Thésée est hanté par une interrogation maîtresse : "Qui
commet le meurtre de celui qui se tue ?". A laquelle s'ajoute une deuxième
question, alors qu'il a commencé d'ouvrir les cartons et de se plonger dans la
mythologie familiale : " Celui qui survit, c'est pour raconter quelle histoire
?". Il exhume alors la lignée des hommes qui meurent, l'arrière-grand-père
suicidé d'une balle en 1939, son frère mort très jeune d'une maladie sans nom,
ces morts qu'il met en lien avec celle de son propre frère ; il raconte les
photos, nombreuses, et retranscrit les pages du cahier de l'arrière-grand-père,
en une lente exploration et une réflexion profonde et douloureuse sur le poids
d'un héritage qu'on connaît mal et qui nous hante.
C'est un roman déconcertant que
celui-là, écrit sans majuscule en début de phrase ni point à leur fin, constitué
de réflexions, de poèmes, d'extraits d'un journal intime ; curieux objet
narratif dans lequel le narrateur s'adresse tantôt à ses parents, tantôt à son
frère, et passe de la première à la troisième personne. Comme si son identité fluctuait
au fur et à mesure de la découverte de ce passé resurgi. Que doit raconter
celui qui a survécu ? Que doit-il comprendre de ces parallèles – qu'il appelle
des synchronies – qui se dessinent devant lui, des dates qui mettent en regard
des événements, des morts ou des naissances par exemple ? Ces signes, qui
prouvent qu'on fait bien partie d'une lignée, quitte à ce qu'elle soit de
celles des hommes qui meurent, et qu'on n'y échappe pas, même en partant loin à
l'Est. La nouvelle vie de Thésée, c'est sans doute de faire avec le poids du
passé familial, de parvenir à conjurer sa peur pour ne pas, finalement, oublier
de continuer à vivre.
Catégorie
: Littérature française
deuil
/ famille / transmission /
Posté le 10/12/2020 à 17:11