Les agents, Grégoire Courtois. Le Quartanier, 02/2020. 292 p. 18 € ****
Une société futuriste où le travail est devenu la seule valeur sociale, à laquelle se consacrent des agents, chacun dans son box blindé, au sein de hautes tours de verre. Leur mission : surveiller les millions de données qui s'affichent sur leurs écrans, veiller à la bonne marche du monde économique. Tout cela sans relâche ou presque, puisque ces agents travaillent de cinq heures du matin à minuit, avec des pauses de quinze minutes toutes les trois heures, sept jours sur sept. L'agent modèle vit sur son lieu de travail, dort dans son box – on a supprimé depuis longtemps les trajets domicile-travail qui représentaient trop de perte de temps et financière. Chacun lutte pour conserver son poste, sous la protection d'une guilde – la Colonne rouge, les Copieurs, les Bookies, la Kon-Tha, etc - et tous les moyens sont bons pour y parvenir, ruse, stratégie, violence. C'est à ce prix qu'ils pourront éviter le renvoi par les Airaches, et la rue, où règnent les chats, le chaos et l'inconnu... C'est alors qu'arrive le remplaçant d'un agent qui s'est défenestré. Le nouveau attire l'attention sur lui et pourrait bien être le grain de sable qui va venir gripper l'engrenage…
Quartier Sud, tour 35S, étage 122, secteur Y1, box 314. C'est de là qu'écrit la narratrice Elisabeth, qui fait partie d'une petite guilde, dont sont membres Laszlo, un artiste qui filme sans cesse et s'enregistre, Solveig, entièrement épilée jusqu'au moindre cil, Théodore, qui s'est amputé de tous les orteils, et Clara, qui se lacère méthodiquement tout le corps sous anesthésie locale. Des fous ? La folie est toute relative, dans un monde où règne l'absurde : les employés sont strictement inutiles mais cependant réduits à un véritable esclavage, avec pour seul horizon et seule ambition de conserver son box et de survivre, à coups de grenade ou de rafales de mitraillette – uniquement au moment des pauses. D'ailleurs, les suicides ne sont pas rares, au point que plus personne ne prête attention aux corps qui chutent devant les baies vitrées de la tour, des dizaines de fois par jour. Un univers qui n'est pas sans rappeler celui de Brazil de Terry Gilliam, ou 1984 de George Orwell, avec une coloration contemporaine. Evidemment, c'est délirant, absurde, parfois outrancier, mais cette vision du futur, où la reproduction est assurée par des machines, où le contexte de vie privée n'existe plus, où l'humain est réduit à une tâche répétitive sans aucun sens si ce n'est sa survie pour échapper à l'inconnu, n'est pas qu'une simple fable dystopique. Le futur qu'elle présente fait froid dans le dos.
Catégorie : Anticipation
entreprise
/ concurrence / guerre / solidarité / machine / esclavage /
Posté le 02/06/2021 à 13:38