Toutes les meilleures raisons pour ne pas écrire
D'abord,
comptez avec la paresse : celle du petit matin, où réveillé par la lumière d'une aube d'été pleine de promesses, vous vous dites qu'il n'est que 5 heures
30 et que vous avez bien le temps avant de vous lever, si bien que, somnolant à
demi et songeant à toutes ces choses que vous pourriez faire en profitant du
calme matutinal, envoyer des mails, écrire une chronique, avancer dans votre
projet de roman, désherber le jardin, faire la vaisselle de la veille, lire
deux ou trois chapitres, écouter la radio, aller chercher le pain, ainsi le
temps file et quand à la fin la culpabilité a raison de vous et vous extirpe de
votre couche, il est déjà presque 8 heures et vous n'avez encore rien fait.
Ensuite, il y a la paresse de l'après-midi, et la tentation de la sieste post prandiale. Une fatigue légère, qui vous conduit à reprendre votre livre, en position allongée de préférence. Assurance directe d'un endormissement conséquent. Réveil une bonne heure plus tard, état vaseux, encore une heure pour se réveiller tout à fait, ne reste, avec un peu de chance et sauf imprévu, deux petites heures utilisables dans l'après-midi – qu'on utilisera à faire tout autre chose, après tout ce sont les vacances, et demain, promis, on se lèvera tôt…
Ajoutons à cette prédisposition naturelle à la procrastination un tas d'autres activités qui, à l'heure de s'assoir devant son clavier, revêtent soudain un caractère d'urgence. En général, il s'agit d'activités domestiques ou manuelles, de celles qui ne demandent d'autre effort qu'un peu d'énergie physique : tout à coup, il devient absolument indispensable d'aller tondre la pelouse, couper les roses fanées, aller à la déchetterie, trier les magazines ou faire des courses.
Et puis il y a les hommes. Les membres de la famille, dûment briefés, ne font pas obstacle en général. Mais les autres… Par exemple, il n'est pire ennemi de l'apprenti écrivain que le voisin serviable qui vient faire la causette à la table du jardin où vous venez de vous installer avec votre ordinateur sur l'écran duquel il louche en tentant de voir ce que vous pouvez bien fabriquer. S'il est poli, il murmurera un vague "Je vous dérange ?" qui restera de pure forme, car le voisin serviable a la faculté de s'incruster sans jamais se sentir gênant – après tout, vous n'êtes pas en train de travailler !
Enfin,
il est des jours où tout semble se liguer contre vous. D'abord, une simple
révision de la voiture avant le départ en vacances, qui se transforme en panne,
laquelle nécessite une immobilisation totale, puis un séjour en clinique
spécialisée. Vous apprenez que les interventions sont plus nombreuses que
prévu, et la facture salée. Vous récupérez la bête, le porte-monnaie largement
délesté et le budget vacances grevé d'autant, pour vous rendre compte au bout
de quelques mètres que le volant est dur comme du bois. Entre temps l'hôpital a
fermé, retour le lendemain matin, pour une nouvelle intervention, moyennant une
nouvelle dépense et un nouveau séjour en clinique, ce qui vous contraint de
décaler votre départ au soleil. Entretemps, vous cassez votre smartphone, dont
la réparation équivaut à l'achat d'un appareil neuf, ce que vous vous empressez
de faire puisqu'il est hors de question de partir en vacances avec le téléphone
préhistorique qui ne va même pas sur Internet.
Enfin, vous apprenez que votre progéniture a été exclue de son camp scout après avoir été surprise lors d'un trek à fumer de l'herbe. Qui dit exclusion, dit rapatriement rapide dans les familles, or le camp est au fin fond de la campagne bourguignonne inaccessible par train. Il faut vous déplacer : alors que vous n'avez pas fait vos bagages vous vous octroyez donc sept heures de trajet aller-retour pour aller récupérer trois ados piteux qui n'ont d'autre choix que de courber le dos face à la vindicte maternelle.
Tout finissant par se résoudre, une voiture presque neuve qui devrait vous éviter de tomber en panne au bord de l'autoroute et de suer à grosses gouttes dans votre gilet jaune en attendant la dépanneuse, un téléphone tout neuf, et la progéniture casée à l'abri de toute tentation chez les grands-parents à la campagne, les bagages enfin prêts et l'ordinateur bien rangé entre les draps de plage et le sac isotherme, vous voilà fin prêt pour votre programme farniente-baignade-tourisme-lecture-apéros, dans lequel vous comptez bien caser une heure ou deux par jour pour écrire. Sauf imprévu.
Posté le 23/07/2017 à 09:59