Contraintes

Dans les ateliers d'écriture, on nous propose souvent des exercices basés sur diverses contraintes : insérer dans son texte les mots d'une liste établie au préalable, faire un portrait en s'interdisant tout commentaire, écrire la suite du texte rédigé par quelqu'un d'autre, inventer un personnage à partir d'éléments piochés dans des quatrièmes de couverte, etc.
Ici, l'exercice concernait les incipit. A charge pour nous de rédiger une scène d'exposition qui allait comprendre la présentation du lieu de l'action (3 à 5 lignes), un dialogue entre deux personnages (5 à 7 répliques) et enfin une transition narrative vers une suite envisageable (7 à 10 lignes).

Les deux hommes marchent en silence. Les étoiles criblent le ciel, la lune est descendante mais la nuit claire, sauf quand ils traversent des bosquets de sapins qui entretiennent la pénombre. Pas un bruit, le hululement d’une chouette et, çà et là, le chant d’un grillon qui perce la nuit. Ils ont décidé d’un commun accord de rentrer à pied, ça leur ferait du bien de marcher un peu, de s’aérer la tête de la musique et du brouhaha du bal. Max change de bras pour recaler son violon sous l’aisselle. Michel, qui marche les mains dans les poches en sifflotant, fait un geste vers lui.

« C’est bon, dit Max.

- Tu sais, dit Michel, c’était bien ce soir, malgré les Boches et tout ça. Mais j’ai envie d’autre chose… Envie de partir. Un jour, je partirai, je te le jure. Quand tout sera fini.

- Tu veux aller où ?

- Je vais monter à Paris. Là-bas, je me débrouillerai.

- Mais tu vas faire quoi, à Paris ?

- Il parait qu’on peut trouver à faire, si on n’est pas trop manchot. Et je chanterai, Max, je ferai de la musique, autre chose que pousser la chansonnette dans les bals. »

Max soupire. Il ne sait pas s’il a peur pour son copain ou s’il l’envie d’avoir ce courage-là, de tout quitter pour partir vers un ailleurs qu’il est incapable de se représenter, en dehors des quelques images qu’il a pu en voir sur le calendrier des postes, les larges avenues bordées de platanes, ces grands immeubles en pierre, des gens bien mis et la Tour Eiffel. Peut-être lui en veut-il aussi de songer à partir. A l’abandonner, en somme. Comme s’il oubliait tout ce qu’ils ont partagé, les gitanes fumées près du cimetière, les baignades dans la rivière et les bals musette. Mais ces peurs-là, il ne peut les dire, et sa lente expiration lui semble tout résumer.

Le silence à nouveau, et le grillon qui s’est remis à chanter. Puis Michel hasarde :

« Dis-moi Max, c’était qui, la fille avec qui tu dansais ? »

Posté le 25/07/2021 à 11:55

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