Les gens heureux ne font pas d'histoire
Il y a des histoires terribles. Des histoires de couple bancal, adultère, et de déni de grossesse. D'usine qui ferme et d'ouvriers intérimaires qui se tuent à moto. De filles violées qui se vengent en bande. De secret de famille et de geôles argentines. Des premiers ou seconds romans récemment publiés, estampillés Littérature française avec la majuscule idoine, souvent bien écrits, et bien accueillis par un public exigeant. Des romans choisis avec soin par l'équipe des "68 premières fois" dont je fais partie, un groupe de lecteurs passionnés qui s'échange livres par la poste et avis via les réseaux sociaux. Ma toute récente mise à l'isolement pour cause de cas contact durant une semaine m'a amenée à me plonger dans ces récits que j'ai lus avec plaisir et parfois admiration, mais que j'ai terminés avec une sorte de lassitude. Parce qu'il s'agit là de récits dramatiques, qui finissent mal, à se demander si la lumière, l'espoir et l'optimisme n'ont pas disparu de ces mondes dont on ressort un peu lessivé.
Le printemps arrive, il est là aujourd'hui d'ailleurs, et en ces temps troublés on n'a plus que jamais besoin de lumière, de tiédeur et d'espoir. Les oiseaux chantent tôt le matin, le pommier du Japon fleuri rouge au fond du jardin, les perce-neige ont fané pour laisser place aux jonquilles et bientôt aux tulipes, la nature vibre d'un renouveau qui fait fi du couvre-feu, et voilà qu'on continue à lire des histoires terribles. L'adage aurait-il donc raison, les gens heureux n'auraient-ils pas d'histoire, n'y aurait-il rien à dire d'une vie sans heurt, puisque c'est le heurt même qui fait l'histoire ? Pourquoi d'ailleurs aime-t-on autant les chansons tristes, écouter Barbara et Brel ? Pourquoi tient-on autant à se faire mal, comme gratter la croûte d'une blessure pour se rappeler qu'on s'est fait mal, et aime-t-on ça finalement, que ça fasse encore un peu mal ?
Je me
rappelle mes cours à la fac, la notion de catharsis, le paradoxe de la tragédie
; des chercheurs en neurosciences ont planché là-dessus bien mieux que je ne
saurais jamais le faire pour disséquer les processus cognitifs à l'œuvre lors
de l'écoute d'une musique en tonalité mineure, et mis en évidence la libération
d'hormones spécifiques. La réponse finalement m'importe moins que la deuxième
question corollaire : peut-on écrire une histoire dramatique sans être trop
triste, et sans plomber son lecteur ? Ne peut-on pas, au détour d'une page, y
aller d'une petite blagounette qui viendra un peu alléger les choses ?
Jean-Paul Dubois y parvient, qui sait si bien mêler l'humour à la plus triste
des histoires. Sans forcément copier le prix Goncourt 2019, mesdames et
messieurs les auteurs, donnez-nous à lire des histoires tristes dans lesquelles
vous glisserez un bout de soleil ou un bourgeon qui grandit.
Nos corps étrangers, Carine Joaquim, La Manufacture de Livres.
Les nuits d'été, Thomas Flahaut, L'Olivier.
Les orageuses, Marcia Burnier, Cambourakis.
Avant elle, Johanna Krawczyk, Héloïse d'Ormesson.
Tous les hommes n'habitent pas le monde de la même façon, Jean-Paul Dubois, L'Olivier.
Posté le 21/03/2021 à 09:44