O sole mio

L'habit ne fait pas le moine, il y a des chauffeurs de bus poètes. Des cordonniers chanteurs. J'en ai rencontré un hier matin.

Je dépose il y quelques jours une paire de chaussures à réparer, dans une des rares officines encore ouvertes à une époque où l'on jette ses souliers usagés. Lorsque je les récupère, dûment réparées, moyennant la somme dérisoire de dix euros, je ne peux m'empêcher de demander à l'homme de l'art s'il est italien - question sans grand danger, vu son accent et son nom, Randolfi. Le voilà qui me répond :
- A si ! Parla l'italiano no ?
- Un po', ma non troppo bene.
- Ma si deve parlare, i Francesi no parlanno lingue perche hanno sempre paura si sbargliarsi, les Français veulent toujours tout corriger, che peccato ! Et nous voilà partis dans une conversation dans les deux langues, où Giuseppe le Calabrais - come ti chiami, je te tutoie, tu me dis tu aussi, mi piace cosi - me localise sa région d'origine en se saisissant d'une botte posée sur le comptoir, cela ne s'invente pas, et me parle de ce qui fait le charme des Italiens, outre la beauté de la langue et du pays, et la qualité de sa gastronomie : la culture, qui imprègne même les classes les plus populaires, et dont il est la parfaite incarnation, lui qui n'a me confie-t-il que son certificat d'études mais se révèle féru de chansons, qu'elles soient françaises ou italiennes. Il me fredonne La mer de Trenet, puis entonne des airs qu'il aime, Reggiani et La femme qui est dans mon lit, puis Vecchio frack de Domenico Modugno dont il mime les paroles afin d'être sûr que je les comprenne bien ; il chante ce samedi matin dans sa boutique dont je suis la seule cliente, parmi les chaussures et les sacs à main, me dit que O sole mio n'est pas écrite en italien mais en napolitain, puis il me parle de la Sicile, de Leonoardo Sciascia dont j'ai un vague souvenir d'un extrait de Gli occhiali d'oro étudié au lycée, et nous encensons tous les deux Andrea Camilleri disparu récemment.

Je resterais bien plus longtemps, je n'ose pas, je peine à prendre congé de cet homme intarissable, d'une sympathie et d'un enthousiasme communicatifs et finis par lui souhaiter de bonnes vacances puisqu'il prend la route le soir même pour un trajet de dix-sept heures  environ jusqu'à la Calabre. Il m'accompagne jusqu'au trottoir, Ciao cara me répète-t-il en me faisant promettre de revenir le voir, je repars à vélo en fredonnant "Osolemio, sta 'nfronte a te", et c'est un peu de cette Italie si faconde et si chaleureuse qui m'accompagne pour le restant de la journée.

Posté le 04/08/2019 à 12:01

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