Première semaine de confinement
« Tout va bien, on pense à toi.
C’est au moins des nouvelles en attendant de les retrouver »
Madame Banderole 99 ans
Surréaliste
Le facteur, sur la piste cyclable, pris de découragement questionne son téléphone orange fluorescent.
Sur la terrasse le cuisinier perplexe, attend de lire l’avenir dans sa tasse rose framboise.
Dans le hall d’entrée le chauffeur livreur violet d’inquiétude se repose dans un fauteuil.
Sur la piste cyclable le boulanger s’impatiente avec bonheur sur son vélo vert émeraude.
Acrostiche
Chemin quotidien entre confinés
Ouvertures à risque
Rayonnement limité
Oubliés détours
Navigation aveugle
Approvisionnements minimaux
Vide militarisé
Immobiles protocoles
Retours décontaminés
Utiles alcools
Solutions hydro-imaginées
« Je pense toujours à Hitler, ça c’était une guerre, mais je le compare quand même. Hitler voulait tout contrôler et cela c’est presque aussi. »
Madame Prudence 91 ans
Le premier jour
C’était le premier jour de confinement à la maison. Il était sur son balcon
Tout en savourant l’odeur forte du café dans la ruelle. Tu es arrivé comme un lion dans le noir en obligeant les gens à rester dans leur maison.
Il ressentit une grande tristesse en regardant sa ruelle déserte. Serons-nous encore heureux pour le reste des jours à venir ?
Acrostiche
Coronavirus qui es tu ?
Ombre sur nos vies
Roi tu te proclames
Ordre de confinement tu imposes
Ne sois pas trop optimiste
Allez profites en car
Vaccin nous trouverons
Immunisés nous serons
Retour à la vie nous aurons
Unis nous resterons
Sauvés nous serons !
Deuxième semaine de confinement
Où est ma place dans cette histoire ?
Madame Prudence 91 ans
Lettre à un élu
Monsieur le Ministre de la Santé
Je comprends bien que le poids de vos nouvelles responsabilités vous amène à chercher toujours plus de cohérence entre les paroles et les actes dans la gestion de cette crise.
Je constate que la caution scientifique y est largement mise sur un piédestal ce qui pourrait me convenir en tant que médecin si cela n’était pas pour masquer des défaillances politiques au lieu d’oser la transparence et la solidarité comme annoncé par le président il y a quelques jours.
Grâce à la science, nous citoyens, acceptons maintenant la logique du confinement qui est de limiter la propagation d’un virus par des porteurs sains ou asymptomatiques. Nous avons tous compris qu’un masque peut empêcher de contaminer quelqu’un voire nous protéger en fonction du modèle. Nous avons aussi tous constaté que cette denrée devient rare et précieuse dans un contexte mondial tendu.
Dans notre EHPAD, nous avons fait le choix de pouvoir prendre soin de nos résidents le plus sereinement possible en agissant plutôt qu’en attendant passivement d’hypothétiques livraisons. Dans un élan d’entraide, nous avons reçu des masques en tissus, puis nous avons décidé de mettre nos talents à l’œuvre pour tous nous protéger, résidents et professionnels, même imparfaitement.
Agir, coudre et s’entraider pour surtout ne pas subir d’invisibles menaces : la suspicion, l’éloignement jusqu’à la froideur inquiète dans nos soins ou nos échanges, la peur de l’autre et de la mort.
Oui nous avons osé ce pari : guérir notre impuissance et le vide de nos stocks par des opérations non conformes aux recommandations. Mais nous imaginons avec rigueur et pragmatisme des protections dignes d’êtres humains.
J’ai le sentiment que les autorités sanitaires s’adaptent à la faible disponibilité en masques et autres protections en nous prodiguant cette aberration : « pas de symptôme, pas de masque ». Que sacrifierez-vous ? Vos doctrines ? Votre cohérence politique ? Notre santé ? La vie des résidents ? Et nous, comment allons-nous devoir nous adapter à cette carence d’honnêteté au-delà de celle de matériel ?
La multiplication des protections non conformes fait chercher la parole scientifique à nouveau : une étude réalisée au Vietnam, en service de soins intensifs et urgences, prouve que les masques en tissus (5 masques pour 4 semaines portés une journée entière et lavés à la main à l’eau et au savon au domicile du soignant) présentent un risque 13x plus élevé de contamination virale.
« Surtout ne réfléchissez pas, la science est là, limpide et vraie, laissez vous anesthésier de quelques publications internationales pertinentes ».
Alors que la veille je recevais les protocoles de sédation terminale en cas de détresse respiratoire, je lisais ce courageux projet d’interdiction des masques en tissus élaboré par les « autorités savantes » en télétravail qui soignent leur responsabilité.
Je me suis sentie trahie, et salie, embarquée dans ces mêmes impostures médicales qui ont mené à sacrifier des populations entières au nom de la vérité scientifique biaisée par d’autres intérêts. C’est mon sentiment.
Je refuserai de participer à cela, je préfère cultiver la sincérité. Je ne trahirai pas la confiance de mes collègues aides soignantes, agents logistiques, infirmières au nom de recommandations irrespectueuses des humains que nous sommes, nous qui accompagnons la vie jusqu’au bout, nous qui exposons les nôtres et celles de nos proches pour cela.
Docteur Colombe
Recette : La purée de la liberté
Prenez de bonnes grosses pommes de terre bien lourdes et grasses comme ce corona.
Épluchez-les, découpez-les en petits dés.
Émiettements en de fines particules, puis écrasez-les jusqu'à obtention d'une belle et fine purée bien lisse.
Vous ajouterez des herbes de Provence, fraîches et pleines de promesses. (Quantité à votre guise)
Agrémentez le tout d'une pointe de citron pour le « pep’s », de la cannelle pour sa douceur.
Parsemez ce délectable mélange d'un brin de laurier revigorant. Enfin pour sublimer le tout, ajoutez-y un arc en ciel délicieux afin de faire renaître l'espoir.
Troisième semaine de confinement
« Le monde a tellement changé que ça a changé
mon monde intérieur ».
Madame Promenade 91 ans
Surréaliste
Le long du canal, un caissier désinfecte avec amour ses mains blanches.
Dans la chambre bleue, un livreur écoute sans surprise sa peur noire.
Dans le tram, le médecin regarde dans la joie son tablier bleu. Dans la salle de réunion, un éboueur avec du gel hydraulique change sa blouse rose sans tristesse.
Dans la cuisine de l'établissement, un patient soigne sa tasse violette avec dégoût.
L'aide-soignant sans masque sent dans le jardin un amour rouge.
Lettre à un proche
A Inès, Eva et Camille, mes enfants
Je vous écris pour vous expliquer ce que je vis en ce moment. Actuellement, je ressens comme un ciel parsemé d’éclairs à l’intérieur de moi. J’ai souvent mal au cœur de pouvoir imaginer mon monde d’amour s’effondrer. Sur une échelle de un à dix, mon degré d’espoir est aujourd’hui
de 10 malgré tout. Les derniers temps, ce qui me fait le plus peur, c’est de vous perdre ou de vous voir souffrir. Ce qui me manque le plus, c’est nos soirées à pleurer de rire et nos week-end en famille. Mais sachez que je suis fière de moi, parce que malgré toutes mes peurs, je sais que nous vaincrons toutes ensemble ce fléau.
Quand tout ça s’arrêtera, j’aimerai que, comme prévu, nous poursuivions notre tour du monde en famille.
Maman
PS : lettre écrite le jour de mon anniversaire
Quatrième semaine de confinement
« Sachant qu’on est encore loin d’avoir gagné contre cette petite bête, je ne peux que vous encourager. »
Madame C. G., fille de madame Sensible
Avant
Avant les rues étaient animées de passants. Les journées se déroulaient sans contrainte, et les
soirées étaient particulièrement conviviales. Il n’y avait pas de dérogation pour sortir. Et un jour, le coronavirus est arrivé. Nous n’avons plus eu le droit de sortir librement. Et avec cela certaines choses ont commencé à nous manquer, voir la famille, sortir entre amis, voyager. Nous étions alors
privés de ce qui comptait : la liberté.
J’aimerais à nouveau pouvoir me balader librement, aller au cinéma, voyager.Même si je sais qu’après cette période, les choses vont changer, je voudrais que l’on n’oublie pas que l’être humain est bon dans l’adversité. Aujourd’hui, je garde l’espoir et ce qui me fait tenir, c’est le soutien de ma famille, la solidarité et le professionnalisme de mes collègues et de la direction.
Recette : Le plat qui donne la patate !
Ingrédients :
Patates douces 1kg
De la cannelle
2-3 tomatesgorgées de soleil
Des raisins secs
2 c à soupe d’une bonne huile d’olive bien parfumée Du miel de fleurs ou d’acacia
De la poudre de perlimpinpin
Un soupçon d’espoir et quelques gouttes de bonne humeur
Faites cuire sans les peler les patates douces en morceaux dans une eau juste frémissante
Dans la marmite en fonte de ma maman, faites revenir dans l’huile d’olives les tomates découpées en gros dés. Ajoutez les morceaux de patates douces. Jetez avec énergie une belle poignée de raisins secs dans la marmite. Saupoudrez la poudre de perlimpinpin en faisant un vœu Touillez tout cela comme si vous dansiez une salsa Juste avant de servir, ajoutez un filet de miel, le soupçon d’espoir et les gouttes de bonne humeur.
Servez bien chaud comme le cœur. Plat convivial à partager en amis.
Remboursé par la sécurité sociale en cas de déprime.
Cinquième semaine de confinement
« C’est la première fois que je me fais entuber comme
ça. Qu’est ce qui s’est passé ? Je ne sais pas. On s’amusait
tellement bien. »
Monsieur Porte Voix, 91 ans
Monsieur le Président,
Je comprends bien que vous que vous avez d’autres préoccupations en ces temps difficiles et pourtant j’aimerais que vous preniez le temps de lire mon témoignage et d’y réfléchir.
Je tenais à vous faire le constat que sur ma route, dans les commerces, dans les hôpitaux, sur mon lieu de travail il y a des êtres humains qui sont de vrais héros. De l’éboueur, au routier, à la caissière et bien sûr le personnel soignant, sont là pour assumer leurs responsabilités- souvent la peur au ventre du fait du manque de moyens- et de prendre soin des malades, des personnes handicapés, des ainés. J’ai entendu et j’ai lu des histoires extraordinaires d’entraide et de solidarité qui me laissent penser qu’il y a encore beaucoup de belles personnes.
Je leur rends hommage et leur témoigne mon immense respect.
Monsieur le Président, les vrais héros n’ont pas de maillot bleu et ne courent pas après un ballon. Les vrais héros n’ont pas la légion d’honneur pour avoir vendu beaucoup de disques ouavoir fait une belle carrière cinématographique. Car même si lesport et la culture sont importants dans la vie,la vie, elle, estessentielle.
Les vrais héros portent des uniformes, et pour les soignants,des masques quand il en reste, desblouses, des gants. Etpourtant, quand on leur demande ce qui leur manque, ilsrépondent de quoi bien faire mon travail et pour les soignants,du temps pour un regard, pour prendre une main, pour répondreaux proches qui s’inquiètent.
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Monsieur le Président, vous avez le choix de récompenser les vrais héros par du respect et d’écouter ce qu’ils vous disentdepuis des années. On ne peut pas faire marcher l’hôpital comme une entreprise. On ne peut pas parler de relations humaines d’accompagnement et de soins avec des quotas, des effectifs réduits et des taux de rentabilité. La santé n’a pas de prix.
Je vous remercie d’avoir pris le temps de me lire. Je vous remercie aussi de prendre en considération mon constat.
Salutations
Une Mes’Anges, Gouvernante
Sixième semaine de confinement
« J’avais 21 ans quand je l’ai connue, j’en ai 90 et je ne l’ai pas vue depuis 2 mois alors qu’elle est en bas. »
Monsieur Histoire 90 ans.
Parodie
Au bal, au bal masqué ohé ohé
Je suis confinée au bal masqué,
Je n’ai pas le droit d’y aller ohé ohé
Depuis qu’on est confinés j’évite la société
Toutes ces têtes masquées me font flipper
Aujourd’hui je vais prendre rendez-vous avec mon canapé
Même lui n’arrive presque plus à me supporter.
Derrière mon masque je ne suis pas maquillée
Pour accrocher le linge même pas besoin de s’habiller.
Aujourd’hui, aujourd’hui, tout est permis
Aujourd’hui, aujourd’hui, tout est permis
Au bal, au bal masqué ohé ohé
Je suis confinée au bal masqué,
Je n’ai pas le droit d’y aller ohé ohé
Depuis qu’on est confinés j’évite la société
C’est l’occasion rêvée de changer de métier,
Je n’me serais jamais imaginée devenir professeur
Effectivement mon fils me l’a déconseillé ohé ohé...
Au bal, Au bal masqué, ohé ohé
Je souffle, je souffle, je souffle au bal masqué
Je ne peux pas m’arrêter, ohé ohé
De respirer l’air non contaminé
Depuis qu’on est confinés
Mes chaussures de marche sont sollicitées
C’est un peu difficile de respecter
Toutes ces mesures de sécurité
Avec le kilomètre imposé
Aucun recoin ne m’a échappé
Aujourd’hui tout est permis
Aujourd’hui j’entame ma 30ème sortie
Devinez devinez devinez qui je suis
Derrière mon masque mal placé
Aujourd’hui c’est l’occasion rêvée de remuscler mon périnée
Septième semaine de confinement
Les illustrations, extraites du recueil, ont été réalisées par les résidents de l'EHPAD